D'après le roman de Thea von Harbou, également scénariste, Fritz Lang s'attèle donc à la tâche à près de 70 ans, après que David Lean ait du laisser la main. Mais le manque de budget stoppera encore le projet, avant que le producteur allemand Artur Brauner n'incite Lang à le mettre en scène avec toute la liberté qu'il souhaitera, tout en l'invitant à rentrer au pays.

Le tigre du Bengale et sa suite Le tombeau hindou, forme un seul film découpé pour les besoins de la production pour suivre les aventures d'un architecte et d'une danseuse, de son frère et de son épouse et d'un projet d'hôpitaux avorté par la déception amoureuse d'un Maharadja qui détourne la beauté du geste, pour ce palais le Taj Mahal, fruit d'un amour avorté, construit au XVIè siècle. Un parti-pris nettement plus terre-à-terre que les grands envolées sentimentales aptes à déplacer les montagnes de celui qui aura construit le mausolée dévasté par la perte de son épouse. Sous fond de rivalité amoureuse, de conflit politique et religieux, la belle Sîtha (Debra Paget) réveille les passions. Le prince déçu (Walter Reyer) décide de précipiter la destinée de celle qui lui aura refusé ses faveurs, au profit d'un inconnu rencontré par le plus grand des hasards (le bien lourdaud Paul Hubschmid), qui l'aura sauvé des griffes d'un tigre, avec une branchette enflammée. C'est kitsch à souhait et on attend avec impatience de se laisser mener par une aventure pleine de péripéties et de grands sentiments, prêt à se laisser séduire par ce cinéma d'antan et cousu de fil blanc.

Tout se complique quand cette belle danseuse s'offrira également au Sultan pour, lui aussi, l'avoir sauvée d'une funeste destinée, et retourner finalement à ses premières amours, déçue par les comportements abusifs de son Prince. La belle enfermée dans sa tour d'ivoire, tout comme les tigres en cage, utilisés comme main armée par celui qui n'aura pas plus de courage à se confronter aux trahisons du palais, laisseront Mercier l'architecte visiter les lieux tranquillement où même le cliquetis de ses chaussures sur les sols resplendissants de propreté, n'alerteront personne, tous semblant avoir des fers aux semelles et ne plus faire attention au bruit...

Habillé à la mode européenne, sa démarche signifie à elle seule ce que sa personnalité pourtant oisive révélera. Si Lang nous montre l'envers du décor, entre le faste et la richesse des rois et la réalité des villageois miséreux et une léproserie oubliée dans les sous-sols du palais, ce sont les comportements de Mercier bien souvent irrespectueux et intrusifs qui rappellera, si besoin, à cette particularité des étrangers à se sentir partout en terrain conquis, sans bien arriver à y voir une dénonciation du cinéaste tant celui-ci reste concentré sur son héros européen et sa légitimité. La scène de l'enfant attaqué avec pour seule réaction un mouvement de tête dépité qui ne l'empêchera pas de retourner vaquer à ses occupations de séduction, l'intrusion dans le temple ou encore un haussement d'épaule lors de celle des offrandes de Sîtha à la déesse Kali montrant ainsi la supériorité de l'homme blanc à ces considérations d'un autre temps et pour le fun, d'un dialogue introductif : Attention c'est un Tigre royal. Il égorge femmes et enfants...Il s'en prend même aux hommes. D'où quelques fautes de goûts qui vont saper l'entreprise moins sympathique qu'attendue.

Après visionnage on se demande si Hardy Krüger au départ pressenti pour le rôle de l'architecte, n'aurait pas été plus judicieux. Paul Hubschmid manque de charisme mais surtout de présence, tout comme Walter Reyer dans le rôle d'un sultan orangé aux gros yeux à marquer ses multiples mécontentements.

Si ce n'est Valéry Inkijinoff (le grand prêtre Yama) et tout comme les débuts du western, on se souvient des tonnes de cirage à combler la blancheur de peau, sans cacher pour autant les faciès, les contraintes de production ont également eu pour effet de voir des acteurs singer les habitants du cru à grand renfort de maquillage, criant de vérité inverse pourrait-on dire, alors que Debra Paget nous charmera par ses mouvements félins et nous étonnera dans une gestion de danse des plus souples. Séduisant le sultan -et toute l'assemblée de bien peu de foi - par la seule fluidité de ses mouvements, les sons occidentaux et la chorégraphie diverse et variée rappellent que les us et coutumes de l'Inde y sont ici, totalement fantasmés :

https://youtu.be/Rx72BX2S2eg?t=19

Reste que la mise en valeur du corps presque dénudé de l'actrice reste un grand moment pour l'époque.

Lang qui ne souhaitait pas non plus l'actrice à son casting, en fait une femme passive voire idiote, ne sachant reconnaître une guitare d'un sitar, et lui donnera un métissage irlandais pour justifier de son choix amoureux et forcément européen, encore.

Quant à Sabine Bethmann, elle rend brillamment compte de la place que doit tenir une bonne épouse.

On se rattrape sur le classieux Claus Holm, à la présence et au jeu plus fin.

Tournée pour partie en Inde et plus souvent en studio, l'imagerie mythique qui en ressort vire au cliché de carte postale. Barrissement des éléphants, chasses aux tigres (peu investis à l'attaque), désert de sable, fakir et gardiens du temple au physique ascétique, aurait bien convoqué le mystère et le charme si ce n'était que prétexte et facilité à valoriser encore une fois l'Europe, plus ouverte et civilisée, terreau de l'art et de liberté face aux traditions indiennes lourdes de contraintes pourtant largement acceptées et ignorées de tous.

Les péripéties sont nombreuses et la seconde partie le Tombeau Hindou se révèlera plus riche en rebondissements, et l'aventure prend sa place contrairement au Tigre du Bengale plus lent et verbeux. Mais les combats décevants par leur mollesse et les attaques au couteau à l'envi, les confrontations animales sans tension et hors champs, une musique répétitive de tambours, le manque de force narrative en regard du soin apporté à ses costumes et aux décors du palais, dans lequel on se perd aisément, risquent d'amoindrir le plaisir du visionnage.

Reste la photographie de Richard Angst (remarqué pour L'Enfer blanc du Piz Palü) et une sortie de route du cinéaste, pour un interlude plus joyeux que ses œuvres habituelles plus sombres mais plus abouties et aurait bien mérité un peu d'humour à ce programme digne des comédies sentimentales.

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le 13 déc. 2022

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