Mon titre de critique triche un peu car il fait allusion au procédé Todd-AO (du nom du producteur Mike Todd qui en fut l'initiateur) qui utilisait un format de pellicule de 70 mm, le plus grand objectif jamais atteint ; différent du Cinerama et plus pratique, ce dernier utilisant plusieurs caméras et projecteurs, le Todd-AO exploitait une seule caméra et un seul objectif, mais il fut peu utilisé car les salles durent s'équiper de projecteurs adéquats et d'écrans plus incurvés. Le Tour du monde en 80 jours fut le second film à être projeté avec ce procédé, et il le valait bien, il sera suivi par d'autres comme Alamo, Cléopâtre, la Mélodie du bonheur, Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines, Hello Dolly ou Patton... comme on le voit tous des films à grand spectacle auquel l'écran ultra large se prêtait merveilleusement.
Le célèbre roman de Jules Verne appelait un film grandiose et il l'a eu, c'est en terme de gigantisme que le producteur Mike Todd l'a voulu, car le résultat est fort spectaculaire, comme seuls les studios hollywoodiens en sont capables. Habitué des coups de poker, Todd joua sa carrière sur ce film car il se trouvait dans une situation financière précaire, mais ce coup réussit et rapporta des sommes colossales, l'ennui c'est que Todd ne put en profiter bien longtemps, il devait trouver la mort dans un accident d'avion 2 ans plus tard.
Pour ce film, Todd ne regarda pas à la dépense : 840 acteurs parlants, 60 000 figurants, 5 mois de tournage, 112 décors naturels, 140 décors en studio ; il engagea de nombreux acteurs internationaux, dont plusieurs vedettes qui ont souvent de petits rôles. Chaque séquence est l'occasion de reconnaitre un acteur fameux, tels Fernandel, John Carradine, Peter Lorre, Gilbert Roland, Buster Keaton, Marlene Dietrich, Frank Sinatra, Trevor Howard et bien d'autres... Si le choix de Catinflas (acteur comique mexicain) pour incarner le valet Passepartout, est aussi curieux que celui de Shirley MacLaine pour personnifier une princesse indienne, celui de David Niven est en revanche parfait pour incarner un Phileas Fogg tel que l'aurait souhaité Jules Verne, je crois qu'à l'époque parmi les acteurs britanniques sous contrat à Hollywood, il était le seul ayant cette touche british de dandy raffiné.
Les admirateurs du grand romancier français seront sans doute surpris par ce film dans lequel on ne retrouve qu'à moitié le charme du livre, mélange de scientisme et d'aventure ; Todd a voulu un film misant sur l'aspect spectacle, et l'on est servi, tout en ayant conservé le côté débridé de l'aventure où les péripéties sont nombreuses à travers de multiples pays, où peuples et coutumes se succèdent, ainsi que les moyens de transport en cette fin de XIXème siècle (train, bateau à vapeur, ballon, et même éléphant). De Londres à Hong Kong, de Suez à San Francisco, les obstacles se multiplient et le spectateur est balloté de belle façon dans la course la plus insensée.
Tout a été mis en oeuvre pour offrir une superproduction alléchante, subtilement soulignée par la partition virtuose de Victor Young qui parvient à typer chaque pays traversé par un style propre (accordéon pour la France, mandoline pour l'Italie, castagnettes pour l'Espagne, sitar pour les Indes, guitare et harmonica pour le Far West, sans oublier le Rule Britannia récurrent qui type la vieille Angleterre de Phileas). Ces musiques illustrent en plus le formidable générique de fin réalisé par Saul Bass, une longue séquence animée admirablement inventive et pleine d'humour, à savourer. Un spectacle total !