L'exilé risque sa vie
Bonne idée de départ que celle d'évoquer la façon dont un régime totalitaire résiste à une révolution populaire par le biais d'un thriller tendu où le danger est partout. Dans Le traducteur, premier...
le 26 juin 2021
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Âpre et tendu, Le traducteur est un long-métrage co-réalisé par Rana Kazkaz et Anas Khalas. Les cinéastes syriens, aujourd'hui tous deux en exil, signent un premier long métrage engagé sur la révolution syrienne.
Le traducteur retrace l'histoire de Sami, joué par Ziad Bakri - vu dans Le bureau des légendes, employé en tant que traducteur de l'équipe olympique lors des jeux qui se déroulent à Sidney en 2000. Un lapsus lors d'une traduction à propos de la mort de Hafez-el-Assad, dictateur syrien et père de Bachar-el-Assad, contraint celui-ci à demander l'asile en Australie, où il obtient le statut de réfugié politique. En 2011, la révolution syrienne éclate et le frère de Sami, Zaid, est arrêté lors d'une manifestation pacifique. Sami décide de retourner clandestinement dans son pays natal, où il se cache avec sa soeur, Karma, et sa belle-soeur, Loulou, pour tenter de retrouver son frère.
Voilà un film où le fond prime sur la forme. Sur le plan cinématographique, le thriller n'a pas grand intérêt : les décors sont minimalistes, le jeu d'acteur plutôt dénué de charisme et la bande son quasi-absente de tout le film. La caméra suit à la manière d'un documentaire un personnage de fiction, Sami, dans sa tentative de retour au pays où il doit se cacher de la police. Sami est dépeint comme un homme plutôt taiseux qui, à en croire les reproches que lui adressent sa famille ou les connaissances qu'il côtoie à Damas, manque de courage et se "cache derrière les mots des autres". Dès lors, l'enjeu auquel répond la quête de Sami est aussi langagier : il s'agit de ne plus se taire devant les exactions commises par le régime. Et il est en réalité beaucoup question de mots dans Le traducteur.
Sami doit d'abord son exil politique à un lapsus (involontaire ? volontaire ? le film ne le dit pas) à propos de la mort de Hafez-el-Assad. Lors d’une interview télévisée de l’équipe olympique syrienne de passage à Sydney, au lieu de dire "tous les Syriens pleurent Hafez el-Assad...", Sami traduit par "certains Syriens pleurent Hafez el-Assad...". Puis, une fois arrivé en Syrie, Sami parle peu ; pour déjouer les pièges tendus par les membres du régime, les échanges entre deux interlocuteurs s'effectuent par écrit, par l'intermédiaire d'un logiciel de traitement de texte, même lorsqu'ils se trouvent dans une même pièce. On imagine aisément combien l'enjeu de la scène finale est grand pour Sami : prendre enfin la parole, pour lui et son peuple, au paroxysme du danger et de la désinformation explicitement opérée par le régime, pour dénoncer le système dictatorial et les exactions commises par ce dernier, devant des milliers de téléspectateurs.
La principale originalité du film est de documenter avec beaucoup de réalisme la répression du régime syrien lors des printemps arabes en dénonçant la dictature de Hafez-el-Assad et la manière dont celle-ci se perpétue. Le film s'ancre dans une réalité temporelle très réaliste, à cheval entre deux époques et oscillant entre les rythmes. Il prend racine au moment de la crise démocratique syrienne contemporaine, en 1980, et débute avec les premières manifestations. Il s'ancre ensuite dans une chronologie très régulière de la révolution et représente les vendredis de la révolution. Une chronologie de l'instant aussi : l'atmosphère de peur, de délation et de mort se trouve, littéralement, à tous les coins de rue de Damas est très bien restituée par la caméra de Rana Kazkaz et Anas Khalas.
Créée
le 2 nov. 2024
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