L'art Burt
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Par où commencer pour parler d’un film comme Le Train ? Disons que le poncif « on ne sait plus faire de film comme ça aujourd’hui » s’applique ici à la perfection. 2h 15 de tension intense – marque de fabrique de chaque film de John Frankenheimer, dont il faut au passage dire à quel point sa filmographie est sous-estimée –, marquées par un sens aigu du rythme, une inventivité scénaristique remarquable et puis, surtout, une mise en scène du feu de Dieu. Voilà un film à ne surtout pas regarder après – ni avant – La Bataille du rail de René Clément, pour ne citer que lui dans le même registre, à savoir la Résistance parmi les cheminots durant la Seconde Guerre mondiale.
Mais l’histoire va plus loin qu’une simple apologie de la Résistance. En réalité, elle est peut-être même l’inverse. La noirceur du film de Frankenheimer tranche avec la vision relativement idyllique qu’ont pu en retranscrire les cinéastes de la même époque – Clément en tête –, et c’est donc sur ce point que l’œuvre se distingue de beaucoup d’autres. L’art, point de départ de cette folle cavalcade ferroviaire, se verra progressivement relégué au second plan pour n’être quasiment plus en fin de compte qu’un prétexte alimentant moult retournements de situations… Un aimant vers lequel notre héros (Burt Lancaster) est invariablement attiré tout au long du film, poussé par une résolution qui semble bien caractériser l’homme d’action qu’il est par nature.
De là, on pourrait penser le propos du film fragile, voire passablement simpliste. C’est en partie vrai, mais… comme le dit l’adage, le plus important n’est pas la destination mais le voyage qui y mène… Et quel périple c’est dans le cas du Train ! Avec son noir et blanc splendidement maîtrisé, Frankenheimer fait figure d’exception, à une époque où Hollywood emploie désormais la couleur à fond, comme fer de lance de son succès à l’international. Mais qu’importe : le cinéaste parvient à rendre l’action de son film claire et lisible (même de nuit !) tout en conservant une vraie patte esthétique, notamment grâce à un éclairage de toute beauté.
Un aspect rehaussé par la mise en scène, absolument fantastique. Le cadrage varie sans cesse les angles, les points de vue (merveilleuse obsession pour la profondeur de champ qui élargit le cadre)… pour aller jusqu’à accrocher une caméra sur un Spitfire qui mitraille en piqué ! On sent aussi poindre, avec ces gros plans sur des faces noircies et pleines de sueur, les futures fulgurances kaléidoscopiques de Seconds, magnum opus de l’Américain.
Pour continuer sur l’aspect technique, les décors sont époustouflants. Un tour sur la page Wikipédia nous apprend que le budget fut d’environ 6 700 000 dollars. Une bagatelle quand on voit la quantité de tôle déraillée, encastrée et dégommée tout au long du film. Sans oublier une scène d’explosions en images réelles tout à fait mémorable que n’aurait pas reniée un Michael Bay. Tout paraît réel, authentique, et c’est dû aussi à la mise en scène qui renouvelle constamment le regard porté sur l’action. Le film est extrêmement bien rythmé et profite en cela de la performance « signature » de son acteur principal, Burt Lancaster, résistant attachant mais torturé par l’irrationnelle nécessité de la mission qui lui est confiée, et de laquelle il ne se défausse jamais, en dépit de ses fréquentes contestations.
J’ai envie de finir sur quelques points qui m’ont particulièrement plu. L’usage de la musique, très parcimonieux, qui éloigne une fois de plus le film des standards hollywoodiens de l’époque : le silence tient une place privilégiée dans le film, y compris durant les phases d’action, ce qui renforce inévitablement l’immersion. Le mutisme des personnages de la Résistance, qui préfèrent agir plutôt que dire (j’ai lu quelque part que cela s’opposait au camp nazi, lequel est en perpétuelle discussion pour savoir comment agir, mais sans jamais parvenir à le faire, ce qui est vrai). Le montage, parfait, qui rend l’action ultra-lisible et jamais confuse. Les « césures » dans le rythme du film, ces moments de ralentissement de l’action où se construit une tension en passe d’exploser dans les minutes qui suivent.
La fin, pour terminer, froide de violence et de désespérance ; une autre preuve s’il le fallait encore du caractère atypique de la lecture faite par Frankenheimer de cette période troublée ; et, rétrospectivement, un éclair lancé sur tout ce qui vient de se passer, afin d’en signifier la terrible absurdité. Le Train est un chef-d’œuvre monumental et injustement méconnu, un moment de cinéma magistral.
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Créée
le 2 nov. 2021
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