Passionnant exercice de style, Le Train sifflera trois fois prend le parti du temps réel : on annonce d’emblée l’arrivée, d’ici 90 minutes, d’un dangereux criminel expulsé cinq ans plus tôt, par le train de midi : reste à savoir ce que Will Kane fera de cette information, sachant qu’il est sur le point de retourner à la vie civile à l’issue de son mariage et donc de rendre son étoile de shérif.
Tout fonctionne sur le principe de l’attente et de l’indéfinition. Celle d’un statut, donc, dont le protagoniste ne parvient à se défaire, au risque de compromettre l’union avec Madame qui refuse d’assister à tuerie, et menace donc de partir avec le train éponyme. Celle d’un horaire, qui rive le récit dans une attente tendue, puis celle, enfin et surtout, de l’indécision de la collectivité à venir en renfort du justicier.
En plus de voir un présent totalement inféodé à cet horaire funeste, dans une attente pesante d’une violence inéluctable qui préfigure celle de Rio Bravo, le passé resurgit : une ex hispanique, l’exact opposé de la blonde officielle, pour qui la rupture ne passe pas ; s’il est une heure qui sonne, c’est bien celle des règlements de compte : à bien y réfléchir, la ville pourrait continuer à prospérer tranquillement sans la présence de Kane, le seul contre qui le renégat veut conduire sa vengeance.
C’est là tout le fertile paradoxe de ce western qui prend les chemins de traverse d’une fable politique, dans un pays encore si jeune : Kane le justicier ne trouve personne à recruter parce qu’on ne le voit pas comme l’instrument de la justice, mais bien le fauteur de trouble. Pragmatique, voire vénal, ou tout simplement lâche, chaque individu qu’il tente de rallier à sa cause lui oppose une fin de non-recevoir. Les débats semblent de plus en plus construits, jusqu’à un véritable conseil municipal tenu, et la symbolique est lourde, dans une église : la parole circule, et l’on se targue de parler entre gens civilisés : mais le résultat est toujours le même : alors que la situation est là même que pour l’autre grand débat judiciaire, celui de Douze Hommes en Colère, l’effet est ici inverse : seul contre tous, Kane le restera, et l’idéal qu’il incarne, celui d’une justice indifférente aux raisons que chacun avance et forgée dans l’acier inoxydable du principe, ne fédère aucun citoyen. D’autant que la justice en question a libéré, sans qu’on se l’explique, un criminel notoire.
C’est donc avec une certaine amertume qu’advient le combat tant attendu : sa fonction cathartique se double d’une revanche non seulement contre la figure du criminel, mais aussi et surtout de tous les citadins qui l’accueillent avec une certaine forme de complicité. La violence, ici nécessaire pour le maintien de l’ordre, semble une formalité qui n’effacera pas le pessimisme du départ du justicier : s’il part vers l’horizon, c’est moins vers de nouvelles aventures que par un adieu à une civilisation qui ne sait pas encore clairement définir ses valeurs.
(8.5/10)