Un écrivain raté, Holly Martins, débarque à Vienne pour retrouver son ami Harry Lime. mais en arrivant, il apprend que celui-ci a été tué dans un accident de la circulation. Et dans une ville qui semble devenue capitale du marché noir, il découvre que son ami était mêlé à des activités peu recommandable.
Il faut dire que tout le monde semble obligé de se lancer dans l'illégalité s'il veut survivre. Dans une ville en ruines, dévastée par la guerre et divisée en zones occupées, on vit à la frontière de la légalité. Les personnages qui agissent ainsi reconnaissent d'ailleurs qu'ils ne l'auraient pas fait dans une autre situation ("j'ai fait des choses qui auraient été inconcevables avant-guerre"). la fin justifie donc les moyens ?
Cette question constitue un des thèmes d'un film désabusé et cynique. Lorsque la situation devient aussi extraordinaire, les règles qui régissent la vie ordinaire s'appliquent-elles encore ? Tout n'est-il pas permis ?
Le film s'amuse à chambouler des idées reçues bien officielles. La fin de la guerre fut une grande joie pour tous ? Il suffit de voir les rues dévastées, les habitants qui peinent à se trouver de quoi subsister, l'occupation étrangère et les tracasseries administratives qui en découlent pour en douter.
Vienne, capitale du romantisme ? Carol Reed se plaît à nous montrer une image bien plus sombre de la ville. En visitant les égouts, un policier dit, désignant les déchets : "et tout ça part dans le beau Danube bleu". Tout semble pourri, rongé de l'intérieur. Les gens se méfient les uns des autres, s'observent, se dénoncent, se manipulent.
Vienne, c'est la Babel moderne. Babel d'abord à cause de la multiplicité des langues. A la fin, dans les égouts, on entend un mélange des langues venant de différents côtés.
Mais si Vienne est Babel, c'est aussi à cause de son immoralité.
Comment classer Le Troisième Homme ? Film d'espionnage ? Film noir ? Thriller ? Difficile à dire, tant il semble s'approprier des caractéristiques de plusieurs genres, et les mélanger pour obtenir quelque chose d'unique.
A commencer par son personnage principal, exemple de l'anti-héros. Holly Martins est un raté. Un écrivain raté, comme il l'avoue lui-même. Il ne peut même pas comprendre le texte d'une pièce de théâtre, et son intervention à la conférence des écrivains est un fiasco qui fait fuir progressivement tous les auditeurs.
Mais s'il n'y avait que ça ! En fait, Holly Martins ne comprend strictement rien à ce qui se déroule autour de lui. Manipulé de tous les côtés, il se range systématiquement du côté du dernier avis entendu, devenant une véritable girouette tiraillé entre un baron, une comédienne et un policier.
D'ailleurs, mener une enquête avec lui, c'est s'attirer les pires difficultés. Lors d'une fusillade, Martins se place en plein milieu des tirs, et il met la vie des autres en danger, provoquant la mort d'un policier.
A l'opposé, nous avons Harry Lime. Cynique, intelligent, mystérieux, c'est celui à qui tout réussit. Harry sait précisément ce qu'il fait, et son action est soutenue par tout un système de pensées (" in Italy for 30 years under the Borgias they had warfare, terror, murder, and bloodshed, but they produced Michelangelo, Leonardo da Vinci, and the Renaissance. In Switzerland they had brotherly love - they had 500 years of democracy and peace, and what did that produce? The cuckoo clock."). Bien entendu, pour conserver un happy end de bon ton, il fallait que Harry paie, mais il est, de très loin, le personnage central du film.
En revoyant Le Troisième Homme, je me rends compte que j'avais sous-estimé le film. Il est remarquable à de nombreux points de vue.
D'abord par sa musique, évidemment. La mélodie d'Anton Karas, à la cithare, est un régal et justifie, à elle seule, de voir ce chef d’œuvre.
La photographie est superbe. Le film est très sombre visuelle, se déroulant soit de nuit, soit dans des endroits enfermés (les égouts). Et Reed en profite pour jouer avec les ombres et multiplier les références. Bien entendu, on pense à Orson Welles (a-t-il, oui ou non, participé à la réalisation ? Les informations que j'ai glanées se contredisent sur ce point...), mais aussi à Hitchcock et même à l'expressionnisme allemand (le vendeur de ballons rappelle fortement M. Le Maudit).
Le rythme est rapide, trop même à certains moments, au point de nous faire perdre pied parfois. Et c'est là une des réussites du film : nous faire partager la vision de Martins, qui ne comprend rien à ce qui lui arrive et qui se fait entraîner dans cette histoire comme s'il était pris dans un tourbillon. C'est cette perte de repères que le cinéaste parvient à nous faire sentir à travers ses plans inclinés également.
En bref, un grand film, à voir et revoir.
Viendez me lire ici aussi : http://www.cineseries-mag.fr/cannes-classics-le-troisieme-homme-critique-du-film/
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