(Légers spoils peut-être...)
Pour une fois que j'ai apprécié un classique du film noir beaucoup plus que Kalian, cela ne me semble même pas illogique. On disait que Samuel Fuller n'essayait pas de séduire son public, je crois que Carol Reed a bien essayé lui de séduire le sien (oui, ça n'a rien à voir) et de rendre romantique et mélancolique mais aussi presque charmant et sympathique son film noir.
Le Troisième Homme ne donne pas l'impression d'être un film noir au sens kalianesque où on l'entend normalement. Holy Martins, romancier de western, est une truffe. Sous son air indifférent, il pourrait sembler comprendre un peu plus que ce qu'il laisse voir mais même pas. Il n'anticipe rien et ne comprend pas grand chose à ce qu'il fait ni à la ville de Vienne d'après-guerre où il vient d'être envoyé. Tout juste, il se raccroche à l'idée de séduire cette beauté froide jouée par Alida Valli, hypnotisante pour ma part. Joseph Cotten joue fichtrement bien la truffe au point qu'il puisse en devenir mollasson. J'ai cru que ça allait directement mener à l'innocent malmené et me gonfler mais ça glisse tout seul.
Cette légère mufflerie du héros est renforcée par la légèreté de la cithare de Anton Karas. L'effet est assez abrupte, pas convaincu au début perso, mais elle apporte petit à petit un intéressant contrepoint à la ville de Vienne en ruines, principalement vue elle par un noir et blanc agressif et le spectre embrumé d'immeubles détruits, de quelques rues pavées, d'égouts, de pauvres viennois paranoïaques un peu ridicules et de polices militaires internationales engluées dans leur protocole. Du coup, les policiers british sont encore plus classes, limite une agréable sensation de se balader en sécurité avec eux surgirait, et l'ambiance entre M le maudit et un ton ironique certain est assez unique, tout de même.
La relation sans avenir entre l'écrivaillon et la tchèque courageuse au coeur pris soulève de beaux moments sur l'utilité que peut se donner un homme lorsqu'il en ignore l'inutilité et ses conséquences. Je trouve ce thème bien plus porteur dans de nombreuses scènes que la toile de fond des enfants en manque de pénicilline rabâchée une minute à peine en tout, même chose pour le gamin énervant à peine 20 secondes. La vieille elle, je l'ai trouvé assez géniale. Elle aussi cherche à se rendre utile au fond. Ce n'est pas profond, violent et torturé comme un film noir mais il n'en reste pas moins que c'est accrocheur, beau et sensible.
La réalisation est impeccable, le rythme millimétré, le noir et blanc de qualité. En plus de l'influence digérée de l'expressionnisme allemand, certains cadrages ont leur mot à dire comme le plan de Anna qui marche sortant du cimetière repris en échos ou même le chat. Par contre je conçois que quelques cadrages penchés, notamment celui à la sortie de la grande roue, soient assez inutiles.
Là où Orson Welles m'impressionne par ses réalisations de films noirs mais ne me touche guère, ici sa présence limitée ne nuit en rien à sa magnificence lors des trois scènes où il impose le méchant charmant avec une classe brillante, en dehors des considérations de spectre maudit planant sur la ville.
Donc, Carol Reed est peut-être pas un super poids lourd, mais Le Troisième Homme est surement un de ses chefs d'oeuvre.