Troisième volet d'une heptalogie légendaire, celle de la collaboration entre la star du western Rodolph Scott et le maestro Bud Boetticher, Decision at Sundow, dont le titre français est, pour une fois, bien plus joliment inspiré (Le Vengeur agit au crepuscule), cet opus est sans nul doute le plus destabilisant et iconoclaste de la couvée. Les deux hommes accouchent d'un western de série B, court d'une heure quinze, ayant la bonne idée de reposer sur une mécanique narrative de film noir.

C'est un western urbain, quasiment toute l'action se déroule à peu de chose près dans une seule unité de temps et de lieu. L'histoire est maigre et l'intérêt que trouvent donc les auteurs à la raconter est de nous disséminer les intentions des personnages au compte goutte. Peu à peu, nous découvrons leurs motivations, nous apprenons à les connaître et à nous attacher à eux. Ils ont une sacré longueur d'avance sur nous à l'entame du métrage puis la tendance s'inverse au fil du film, voila un point de bascule intéressant et qui permet à ce Vengeur agit au crépuscule d'être toujours haletant.

Au dela du seul maintien de l'attention du spectateur, cette narration qui se dévoile petit à petit est également l'occasion de creuser la psychologie des personnages, de mieux comprendre leurs actions passées et, ce qui fait tout son sel, de ne pas toujours d'anticiper leurs faits à venir, loin s'en faut, car nous voguons de surprise en surprise sur la mer agitée de leurs sentiments pour débarquer sur un final plus qu'étonnant. Mais vraiment. Celui-ci est aux antipodes de tous les poncifs du genre.

L'intérêt que j'ai trouvé à ce long-métrage s'est réveillé petit à petit. À la fin de la première bobine, je commençais à me dire que le film est sympa mais que je ne le reverrai pas. La mise en scène était cependant parfaite, Boetticher transpire l'amour du cadre et cela se voit, il aime d'ailleurs enfermer ses personnages dans des décors avec des éléments toujours en amorce, souvent des plans larges pour ancrer ses protagonistes dans un univers dans lequel il leur sera difficile de s'extirper. Les petites scènes d'action témoignent d'une réelle maitrise du montage, passant du serré au large avec rythme pour rendre l'action encore plus palpitante. Pas de génie mais de l'artisanat joliment maîtrisé. Certains cadres seront d'ailleurs repris et magnifiés par Sergio Leone.

C'est un western verbeux. Il y en a qui jouent sur la psychologie des personnages, sur la manière dont des derniers tentent de se manipuler les uns les autres comme dans 3h10 pour Yuma. Ici, il est plutôt question d'y voir des protagonistes qui se séparent de l'emprise d'un autre, celle du grand méchant du film, et Boetticher nous offre ainsi l'histoire d'une ville qui prend conscience de son lent glissement vers l'escroquerie et l'esbroufe à la solde d'un seul homme désormais à abattre. Le groupe reprend le dessus grâce à un seul homme, incarné par le vieillissant Rodolph Scott.

L'étoile brillante du western pâlit ici. Mince, le visage marqué, creusé, le cheveux grisonnant, la démarche moins alerte, incarnant un protagoniste triste, hanté par son passé (comme dans la plupart des films de Boetticher). Scott est également producteur du film et plutôt que de se voiler la face en s'offrant un rôle fringant comme on pourrait le croire au début du film, nous découvrons finalement qu'il s'agit d'un homme en fin de parcours, venu se venger pour l'honneur de sa défunte femme qui avait pourtant, découvre t-il, ne cesse de bafouer le sien. C'est donc l'histoire d'un cocu qui - SPOILER - ne parvient pas à tuer le dernier amant de sa mie et qui a perdu dans cette bataille son seul et meilleur ami, mort par sa faute. Il en fallait donc du courage et de l'intelligence afin que Scott se produise de la sorte.

La scène finale montre les riverains au saloon, venus remercier Randolph Scott d'avoir remis fe l'ordre en ville après avoir chassé le grand méchant. Totalement ivre, la star les repousse, les engueule puis s'en va, titubant, sur son cheval et il quitte la ville et le film dans ce piteux état. Voila une fin tout à fait inédite dans l'histoire du western et vous savez quoi ? C'est souvent dans les séries B, où les exécutifs des studios sont moins regardants, que l'on peut trouver de telles pépites car les auteurs y sont plus libres et, puisqu'ils ont moins d'argent et de temps que pour les séries A, ils doivent trouver des idées impactantes pour le public. Le centre de la cible est ici visé et atteint.

Voila l'exemple typique du petit film, qui ne paye pas de mine, qui ne s'annonce nullement sous les meilleurs auspices puis qui se révèle au final absolument renversant. C'est typiquement ce que j'aime, dénicher sans m'y attendre la pépite d'or au milieu de la caillasse. La grande idée dans un petit film, voila l'équation quasi parfaite et ce Vengeur agit au crépuscule en est la démonstration parfaite.

ThibaultDecoster
7

Créée

le 24 juil. 2023

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