Je me rend compte qu'en cinquante années des carrière, c'est le premier film d'Hayao Miyazaki qui parle vraiment du japon. Alors, oui, celui-ci apparaît en filigramme dans ses autres films, que ce soit la campagne de Totoro, les personnages de contes et légendes de Chihiro / Mononoké ou dans de nombreuses inspirations de ses films, mais il n'avait jamais abordé cet aspect frontalement. On sent qu'il y a une forme de culpabilité qui plane toujours sur les japonais, notamment les plus pacifiques, envers le rôle du japon durant la seconde guerre mondiale.
Au sein de Ghibli, le seul à avoir traité le sujet fut Takahata au travers du Tombeau des Lucioles, un film très différent de ses autres travaux. Plus le temps passe, plus j'ai l'impression que ce film était une sorte d'exorcisme pour Takahata. De son côté, Miyazaki s'est retrouvé coincé dans une dualité : il a d'une part envie de raconter la vie d'un ingénieur génial, passionné par les avions, qui a révolutionné l'aviation japonais et de l'autre côté, il n'a pas envie de faire l'apologie des avions de guerre (et encore moins des pilotes kamikazes.) La page wikipédia du film renvoi d'ailleurs à la genèse du projet.
Et l'ayant appris après coup, cela m'a permis de cerner un problème que j'ai eu durant le visionnage ce film. Tout en disant qu'il fait un film sur "un ingénieur passionné par les avions avant tout et pas un film sur la guerre..." Miyazaki parle quand même beaucoup de la guerre : on voit la collaboration franco-allemande, les personnages soulignent parfois l'utilisation et la fin du film se fini sur une scène onirique sur la guerre, alors qu'un parti pris "atténuant" aurait été de raconter la vie d'Horikoshi après la guerre, lorsqu'il a conçu des avions de lignes ou bossé en tant que professeur. Il y a une sorte de zone de flou qui sous-tend ce film, sans doute lié à la dichotomie entre le pacifisme de Miyazaki et son amour pour les avions. Pour le coup, ça passait peut-être mieux pour moi dans Porco Rosso, où on zappait complètement la guerre en disant "ok, on est dans le camp des méchants, mais au fond, on s'en fout... c'est l'histoire d'un cochon qui vole !"
D'un autre côté, un aspect intéressant, c'est aussi cela marque un esprit très "japonais d'avant guerre" que le film tente de recréer. Le fait que les personnages soient obsédés par la création d'avions sans jamais vraiment réfléchir à leur utilisation ("ha t'es sur les plans d'un Bombardier, ok, c'est cool" ) reflète aussi un état d'esprit assez japonais sur l'idée de faire le meilleur travail possible, quoi qu'on vous demande. Il est possible aussi qu'il y avait à l'époque une grande part idéologique que le film n'aborde pas, faisant de son personnage un fataliste
Autre chose qui fait assez "japonais" concernant la fin...
... du personnage de Nahoko, dont le départ à l'hopital est filmé comme un suicide tout en retenu, effectué complètement à l'écart du groupe.
J'ai eu une autre problème, mineur, avec cette citation de Paul Valery "le vent se lève, il faut tenter de vivre" que tout le monde semble connaître comme s'il s'agissait d'une phrase française ultra connu à la manière de "qui vivra verra" ou "la garde meurt mais ne se rend pas" alors que même moi qui était étudiant en lettre... je ne la connaissais pas. De plus, les personnages l'utilisent comme une sorte de leitmotiv pour se motiver alors qu'elle est très fataliste. ( S'il faut "tenter de vivre" c'est que la vie n'est pas une partie de plaisir, non ?) Je me demande si traduit en japonais, la phrase ne prend pas un sens plus positif.
Rendre passionnant le métier d'ingénieur.
Malgré tout, je comprend la démarche de Miyazaki de parler d'un sujet qui l'a toujours passionné, d'autant plus qu'à travers la vie de Jiro Horikoshi, il parle aussi de la vie de son père, lui aussi dans l'aviation. Et en tant que petit fils d'ingénieur, (dans les trains à la même période) je comprend un petit peu le côté "passion de la technologie" "transmission du savoir" et les même mystères ambigues. Et du coup, faire le biopic d'un type qui a été ingénieur est un pari assez risqué : il y a beaucoup de vocabulaire techniques, d'enjeux difficile à comprendre.
Autre point positif : j'ai accroché à la romance dans ce film. Si je l'ai trouvé un peu artificielle au début, Nahoko étant au début dans la posture de l'amoureuse transie, rêveuse d'un homme passionné par les avions. Mais, petit à petit, la sauce prend et les personnages deviennent très touchant. Et pour le coup, cet élément (que j'ai appris comme étant totalement fictif) est celui que je trouve le plus réussi du film.
Graphiquement, c'est toujours super beau, mais bon, c'est du Miayazaki. Il y a chez lui quelque chose d'organique, notamment dans le déplacement du vent et de la manifestation de ses bourrasques. Même ses avions semblent faire un bruit humain (après lecture sur wikipédia, ce sont effectivement des bruit humains...) et au moment où il y a un tremblement de terre, cela se propage comme une vague qui fait "bloom" au lieu du "BRRRRRRR" habituel des autres films sur le sujet. On a l'impression que c'est un dragon qui vient de se réveiller.
Mise en danger
Sans être mauvais, c'est loin d'être mon film de Miyazaki préféré. Le film possède une forme "d'hermétisme" que je n'arrive pas vraiment à définir : On sent que Miyazaki voulait aborder le sujet de l'aviation japonaise... mais était géné par pas mal de choses.
Même s'il n'est pas parfait, ce film montre un Miyazaki qui a l'âge de 70 ans, a tenté de faire un film qui lui posait problème, qui s'est mis en danger narrativement et a tenté de faire un film plus adulte que ce qu'il faisait habituellement. Et rien que ça... chapeau !
PS : C'est Hideaki Anno, le créateur d'Evangelion qui fait la voix très posée du héros, une voix très inhabituelle pour un film de Miyazaki tant elle est assez grave. Et au final, cela donne quelque chose qui augmente le ton un peu sérieux et un peu fataliste du film.
Mais de toute façon, vous matez les films du studio Ghibli en V.O. n'est-ce pas ?