Pour son dernier film, maître Miyazaki nous plonge dans une histoire plus brutale qu’à l’accoutumée, mais qui conserve tout le charme et l’émerveillement des autres productions Ghibli. Nous voilà plongé dans le Japon de l’entre-deux guerres, en compagnie d’un garçon rêveur, Jiro, passionné par l’aviation, qui finira par devenir le concepteur du fameux Zéro, chasseur emblématique du Japon durant la Seconde Guerre Mondiale.
Le thème de l’aviation, cher au réalisateur, a déjà été abordé par le passé, que ce soit dans Porco Rosso, ou encore le Château dans le Ciel avec ses machines volantes de tous types. Cependant, on n’avait pas été habitué à être plongé dans le monde réel, puisqu’ici bien que tout soit stylisé, les seules séquences relevant de l’imaginaire sont ces séquences oniriques, sortes de respiration dans une histoire somme toute assez sombre. Et c’est là que la magie opère : le film s’ouvre et se termine sur un rêve, comme pour mettre entre parenthèses toutes les difficultés et les drames auxquels Jiro a dû faire face. Le rêve est ici l’échappatoire à la violence du monde réel, tant est si bien qu’on vient à percevoir Gianni Caproni, ingénieur aéronautique de Mussolini et modèle du jeune nippon, comme un personnage bienveillant et nonchalant, seulement porté par une vision idéaliste de son travail. L’objectif, et il est répété à de nombreuses reprises, c’est de faire des beaux avions, et si ceux-ci doivent servir à l’armée ainsi soit-il, puisqu’il n’y guère d’alternative.
Ainsi c’est étalé sur environ deux décennies que l’on suit l’ambition de Jiro grandir et porter ses fruits, avec toujours en fond, jamais montrée mais subtilement abordée par le personnage de l’allemand, la guerre qui arrive tel un raz-de-marée faisant fi de toutes les bonnes intentions que peuvent avoir les personnages. Les ellipses sont parfaitement calibrées et permettent de traiter les étapes importantes de l’histoire du concepteur, de son enfance au début de la guerre, en passant par la quiétude de la rencontre de sa femme dans ce havre de paix isolé des intrigues de la ville.
Toute cette magnifique histoire est porté par un style naturaliste, où avions et oiseaux ne sont qu’un, et où vents et tremblements de terre créent les liens. L’animation est splendide, avec des idées fantastiques, notamment ledit séisme qui viendra dans toute sa puissance remettre l’Homme à sa place ; scène impressionnante de la destruction d’une ville, avec un plan fixe mettant en surbrillance l’impact des ondes sismiques. Les bruitages ne sont pas en reste, avec une sorte de soufflement constant, créé à la bouche, et rendant ainsi les hélices et moteurs plus proches de l’environnement dans lequel ils évoluent. La musique est quant à elle irréprochable, appuyant là où il faut et laissant souffler quand le spectateur le désire.
On a donc en face de nous une œuvre singulière dans la filmographie de Miyazaki, mais qui n’en est pas moins riche d’une foultitude d’idée et d’un message mature sur l’optimisme nécessaire face aux affres de la vie. Les sacrifices auxquels Jiro consent sont nécessaires à l’aboutissement de son rêve, rêve dans lequel on préférerait rester plutôt que d’affronter une bien sombre réalité. Une œuvre assez personnelle (L’artiste a dû fuir son Tokyo natal sous les bombardements, favorisant par la suite son goût pour les thèmes de l’enfance, l’aviation, le deuil et la nature), qui trouve rapidement son public, et qui clôt en beauté une carrière sans faute.