La sortie d’un nouveau film de Hayao Miyazaki est toujours un événement, surtout lorsqu’il s’agit de son dernier. En effet, cet onzième et ultime long-métrage du génie de l’animation japonaise, d’abord présenté à la Mostra de Venise, s’impose comme l’une des principales sorties de l’année 2014.
Bien que les thèmes de l’amour, du rêve ou de la guerre soient omniprésents ou que la musique soit comme toujours magnifique car signée Joe Hisaishi, Le Vent se Lève se distingue clairement du reste de la filmographie de Miyazaki. En effet, le film ne raconte rien de surnaturel ou de fantastique : il est profondément « réaliste ». Ainsi, c’est la première fois qu’un film des studios Ghibli s’inspire d’un personnage ayant réellement existé : Jiro Horikoshi, célèbre aviateur japonais de la Seconde Guerre mondiale dont nous suivrons le parcours professionnel et l’histoire d’amour qui est, elle, fictive (inspirée d’un roman de Tatsuo Hori). En ce sens, le film se rapprocherait plutôt de Porco Rosso, film de Miyazaki sur un aviateur pendant l’entre-deux-guerres, également très réaliste, si ce n’est que le héros aviateur est… un cochon.
Nausicaä de la Vallée du Vent, le manga de Miyazaki qu’il a également adapté en long-métrage, se terminait sur cette phrase : « il faut tenter de vivre ». Ce dernier film complète ainsi ce vers de Paul Valéry dans Le Cimetière Marin : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». En effet, une des problématiques du film pourrait être « Comment vivre dans un monde en guerre ? ». En ce sens, le personnage principal, Jiro, est d’une complexité intéressante, puisqu’à la fois constructeur d’avions de guerre, et homme extrêmement sympathique et généreux. Jiro s’impose en effet au début du film comme un homme modèle, sauvant même quelqu’un d’un tremblement de terre, ce qui lui permettra de rencontrer sa future femme.
La relation amoureuse entre les deux protagonistes est tout au long du film d’une rare justesse. On observe encore une fois lors d’une magnifique scène la dichotomie du personnage principal qui aime sa femme tuberculeuse, et qui pourtant fume une cigarette à côté d’elle… tout en lui tenant la main : scène très touchante, symbole de cet amour impossible rapidement consumé et consommé, et qui impose Jiro comme non plus un héros, mais plutôt un antihéros. Bien qu’il semble être un simple homme maladroit au bon fond, son antipathie atteint parfois des sommets, dans cette scène principalement. Mais encore une fois, difficile de ne pas comprendre, ou au moins essayer de comprendre ce personnage ambigu qui, rappelons-le, construit des avions de guerre qui seront responsables de la mort de nombreux hommes.
On regrettera ainsi que cet aspect ne soit pas réellement abordé. En dehors de deux misérables répliques peu profondes vers la fin du film, qui soulèvent pourtant des questions très importantes (« Dis Jiro, tu ne penses pas qu’on ne devrait pas construire des avions pour l’armée ? »), le rapport de Jiro à la guerre n’est pas vraiment montré et semble presque inexistant, renforçant alors son antipathie. Il aurait pourtant été intéressant de traiter cet aspect-là du personnage, constructeur d’avions de guerre, mais pourtant probablement pacifiste, comme l’est Miyazaki dont est fortement inspiré le personnage de Jiro. On se doute que si Miyazaki s’est concentré sur l’histoire d’amour, c’est qu’il voulait justement montrer qu’on pouvait vivre malgré la guerre, ou au moins « tenter de vivre ». Mais tout de même, ce choix, surtout lorsqu’on construit des avions de guerre, n’est-il pas profondément égoïste ?
On pourrait aussi reprocher au film son approche de la vie professionnelle de Jiro. La plupart du temps mal exploité, l’aspect biographique est finalement le moins réussi. Le spectateur assiste à de multiples reprises à des tests d’avions tous moins intéressants les uns que les autres, ce qui finit rapidement par lasser. Le voyage en Europe semble également s’éterniser, et les ellipses temporelles de plusieurs années rendent la chronologie relativement confuse, et laisse tout simplement le spectateur loin derrière, freinant en effet un éventuel processus d’identification. Le côté biographie est en définitive le moins intéressant, un paradoxe existant depuis le début : comment faire rêver dans un récit historique et biographique ?
C’est en ce sens que l’on peut dire que Le Vent se lève n’est pas le plus réussi des Miyazaki, car il perd en onirisme et en fantastique. Heureusement, il le fait au profit d’une histoire d’amour touchante aux personnages complexes. Moins ambitieux qu’un Voyage de Chihiro ou un Château dans le Ciel, plus intimiste comme pourrait l’être un Mamoru Hosoda, Le Vent se lève opte donc pour un registre différent. A défaut d’être parfait, le film constitue un point final intéressant à la carrière de Hayao Miyazaki.