Je vous épargne les pleurnicheries, Miyazaki nous a déjà fait le coup de la retraite sur Mononoke.
Qui vivra verra.
À part ça, je sors de son dernier touché mais quelque peu mitigé. Je suis mitigé face aux avis unanimes, élogieux, envolés (c’est de circonstance), séduits, partiaux. Certes ils sont légitimes et peuvent être justifiés par la maestria de l’auteur, mais je ne partage pas cet enthousiasme.
J ‘ai été touché par les furtivités oniriques superbes en terme de mise en scène mais j’ai regretté leur trop grande fugacité. Je pense particulièrement à cette séquence dans laquelle Jirô chute porté par le vent pour se retrouver interpellé à son bureau d’étude. Un emportement immédiat et viscéral devant l’émotion et des sensations dépeintes avec une telle justesse qu’on en a les poils dressés pendant presque une minute, mais trop courts et rares sur un récit aussi pragmatique (en rapport à la filmo).
Les ciels sont magnifiques et rappellent Kurosawa, les étendues de nature bénéficient d’une profondeur de champ qui invite à plonger dans le vide pour y flotter. La patte Ghibli dans les décors est bien présente : le reflets sur les boiseries, les herbes affolées, la solitude des réverbères, la promesse cotonneuse des crépuscules, les détails dans les fournitures. Visuellement Miyazaki cite autant sa propre œuvre que le mouvement impressionniste, en parfaite cohérence avec sa fascination pour l’Europe ; élément ici flagrant dans le clin d’œil à Monet (ici je rejoins @Fritz_The_Cat) comme dans le coup de pinceau et la lumière sur les décors à l’arrivée en Allemagne.
J’ai également énormément apprécié le travail de Hisaishi, moins balisé et moins familier (même si on évite pas les mélopées au piano typiques), utilisant/samplant la voix humaine pour les bruitages et quelques partitions du score, évoquant à certains moments le travail de Shoji Yamashiro sur Akira—notamment Doll’s Polyphony et ses rumeurs baryton-basses. Vraiment très singulier et remarquable.
Tout ça participe à donner à Kaze Tachinu une identité à la fois familière et particulière ; ce mélange de virtuosité et de propension au lyrisme qui est la marque du Studio, et la maturité insufflée par un Miyazaki dont la sereine résolution transpire au travers du personnage de Jirô.
Il y a beaucoup de pondération et de douce contemplation, au gré d’un élément invisible et mouvant ; plus que le vent c’est le temps —notre temps— qui est le sujet intrinsèque du film.
Et c’est en cela que le bat blesse de mon côté. Je suis évidemment ému par le regard et le propos, en tant que témoin d’une époque en constant progrès, en tant que témoin de mes propres changements et de ceux qui m’entourent —extrême fragilité d’un moment ou d’un être figé et perdu à jamais, mais je regrette la trop grande solennité qui ressort du dernier Miyazaki. Une solennité et un pragmatisme balayant rétrospectivement toutes les touches d’onirisme du film, à la puissance potentielle plus grande que jamais. Un aspect terre à terre qui se ressent jusque dans le découpage et le montage du film.
Il en ressort un film magnifique et maitrisé —mature diront certains, mais surtout un sentiment d’amertume face la fin d’une époque annoncée, et sacralisée si j’en crois les billets révérencieux vus de ci de là, dont je regrette sincèrement qu’elle n’ait pas mérité plus fantasque conclusion.
Le vent est retombé, il faut continuer de vivre…