Les rêveurs sont des égoïstes
Habitué aux mondes fantastiques campés par Miyazaki jusque-là (mon favori reste Chihiro, probablement l'un des plus ancrés dans le folklore nippon avec Mononoké), je suis allé voir le vent se lève avec une légère appréhension, n'étant pas spécialement féru d'histoire et encore moins d'aéronautique, la touche plus réaliste de ce dernier film me faisait douter.
Quelle erreur...
La portée historique du film n'est pas qu'un simple arrière-plan, c'est un fait - on y voit un Japon en retard, prêt à tous les sacrifices pour rattraper l'Europe et les USA, y compris à mettre genou à terre devant une Allemagne déjà gangrénée par le militarisme et les nazi et les prémices du Japon contemporain - mais elle est apportée par petites touches, par quelques lignes de dialogue des personnages secondaires, presque badins et fatalistes qui ont déjà compris que le monde de demain passerait par la guerre. Miyazaki ne tombe pas dans l'erreur de l'anti-militarisme acharné et bienséant et ne laisse poindre sa vision des militaires qu'au travers d'une courte scène, quelques minutes à peine.
Mais la seconde lecture de "Le vent se lève", c'est celle du rêve d'une vie. Thème trop souvent abordé avec une agaçante mièvrerie, il est ici presque glaçant : les rêveurs sont des gens égoïstes. Brillants, sans doute, opiniâtre, oui mais terriblement égoïstes. Jiro, le héros n'en démordra pas. Même l'amour ne le fera pas se détourner, jusqu'à mettre en danger ceux qui le suivent et qui l'aiment, jusqu'à persister même en sachant que l'accomplissement de sa vie servira les militaires et "l'explosion". Conscient à chaque instant des conséquences de son obstination, il ira jusqu'au bout. La conclusion est à la fois amère et très juste. On ne peut poursuivre qu'un rêve sans abandonner beaucoup de choses derrière soi et une fois ce rêve accompli, il ne reste que des cendres.
Si je regrette un peu les yôkai et autres monstres de Miyazaki- question de goût - "Le vent se lève" m'a beaucoup touché par sa justesse et la subtilité avec laquelle il traite différents sujets sensibles. L'animation est magnifique, les décors superbes - des studio ghibli, on n'en attendait pas moins - et il reste une très légère touche de fantastique dans la représentation du grand tremblement de terre engloutissant Tokyo, qui évoque un monstre sous-terrain soulevant littéralement la ville. Je pense que le film sera plus difficile d'accès pour les spectateurs qui ne sont pas un minimum familiarisés avec la culture ou l'histoire japonaise, cependant. "Le vent se lève" réhabilite un peu le Japon de la seconde guerre mondiale sans pour autant faire l'impasse sur ses erreurs. Une critique toute en finesse et en poésie, dont le fin mot est finalement laissé à l'appréciation du spectateur. Une très belle sortie pour le maître, poignante et déroutante mais très personnelle.
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