Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

Le Vent se lève est un film qui surprend. N'étant absolument pas dans la veine des oeuvres précédentes de Miyazaki, on se retrouve confronté à une problématique d'un genre nouveau : quels moyens va donc mobiliser le maître du rêve et de l'imaginaire pour traiter d'une réalité historique dans un univers réaliste. Une réalité qui, en plus de cela, concerne un pan de l'histoire relativement sombre, traitant de l'élaboration du célèbre chasseur zéro, avion de chasse utilisé pendant la seconde Guerre Mondiale et plus particulièrement lors de l'attaque de Pearl Harbor. Miyazaki se lance donc le défi de traiter un élément délicat de la culture japonaise et mondiale, et d'y associer une de ses thématiques favorites : la naissance d'un rêve et son épanouissement.

Un des thèmes traités dans ce film, faisant écho au reste de la filmographie de Miyazaki, est bien entendu la folie des hommes, omnubilés par la poursuite technologique qui leur accorderait un pouvoir et une emprise sur le reste du monde. Mais dans toute son oeuvre, Le Vent se lève reste le film où cette folie est représentée de la manière la plus implicite. Miyazaki n'a jamais hésité en effet au cours de sa carrière , pour représenter cette folie à l'écran, à grossir les traits, expressions, quitte à complètement déformer ses personnages, afin de faire ressortir leur cupidité et leur avilissement. Mais ici, rien de tout cela n'est présent, et c'est même pire ; ces hommes là ne sont pas une seule fois représentés. "La guerre arrive", "la guerre est là" ; on parle de façon très brève de ceux qui en sont à l'origine, avec une froideur passive. On oublierait presque que c'est un film se déroulant pendant la Seconde Guerre Mondiale -- mais on aurait tort. La menace, en effet, n'est que plus terrible, si elle est implicitement suggérée, et qu'on ne la montre à l'écran qu'une fois de temps en temps sous la forme des rêves éveillés de Jirō Horikoshi voyant ses avions et ses rêves d'ingénieur partir en fumée.
On peut reprocher, et on a reproché au film son manque de rythme, ses moments pouvant être considérés comme "trop plats", sortes de parodies de poésie. Et c'est vrai, on peut noter quelques blancs, quelques plans ou scènes en trop, nuisant à la rythmique du film. Mais Miyazaki fait le bon choix en choisissant ce ton "trop" poétique pour un film traitant d'un sujet historique si délicat à exploiter, et ne tombe pas dans le piège qui le guettait à des kilomètres : une avalanche de pathos, qui aurait été une catastrophe complète et un manque total de goût. En faisant de son film une oeuvre mêlant contemplation et poésie, Miyazaki choisit le bon ton pour raconter la guerre, pour raconter les tremblements de terre, pour raconter la désillusion. Sans poésie, sans éléments contemplatifs, sans douceur, le film n'aurait été qu'une vulgaire peinture des drames de l'époque, sans forme ni fond, et n'aurait eu aucune force. Elle aide à la création d'une forme originale et poignante pour parler de sujets dramatiques, et on sait qu'ils sont dramatiques sans avoir l'impression qu'on nous met un couteau sous la gorge en nous disant "Vas-y, pleure". Non, et c'est la finesse poétique du ton qu'adopte Miyazaki qui fait la force majeure du film. Une sensibilité, tout en douceur.
Le choix de l'histoire d'amour comme intrigue secondaire aurait également pu être dangereux et virer au niais, et à encore plus de pathos avec la tuberculose de la jeune femme. Mais ce choix est au contraire judicieux, tout d'abord parce qu'il est traité avec une justesse à faire frémir - ce qui n'est pas rien -, mais aussi, et c'est là où se trouve tout le talent, car il est un des ingrédients servant le thème principal du film : l'accomplissement du rêve dans un univers qui l'interdit. Les trois caractéristiques principales du film, le drame, l'amour, et le rêve d'un petit garçon, servent au même thème, et n'existent pas l'un sans l'autre. En partant de ce principe, il n'y avait aucun moyen de se planter.
Evidemment, Miyazaki ne résiste pas à la tentation de glisser quelques monstres fantastiques sous la forme de bombes accrochées sous un dirigeable au début du film. On retiendra également la scène du tremblement terre, réalisée de façon absolument prodigieuse, où on est en proie à une terrible tension sans pourtant voir une seule fois à l'écran un personnage commencer à perdre son sang froid. Quelques apparitions fantastiques de maisons décollant du sol suffisent, et surtout, le son, grondement sourd évoquant un épouvantable monstre sorti tout droit des enfers.

Si un mot devait résumer Le Vent se lève d'Hayao Miyazaki, ce serait celui-ci : "justesse". Tous ses sujets sont traités avec une finesse hors paire, une maîtrise absolue, la maîtrise d'un maître de l'animation nous présentant ses adieux avec ce dernier film. Ses combats et son caractère engagé et militant apparaissent plus que jamais, en reprenant son thème le plus cher qui est le rêve pour l'imbriquer dans une réalité historique sinistre. Avec ce film, Miyazaki rapproche son imaginaire de notre monde, et démontre, comme le réalise son héros, que tout est possible : on peut voler en étant myope, on peut rencontrer la même femme par pur hasard trois fois en cinq ans et finir par l'épouser, et on peut en pleine période de guerre être suffisamment égoïste pour n'y voir qu'une opportunité de réaliser son rêve. Miyazaki réinvente l'Histoire, ou plutôt créé une nouvelle vision de l'Histoire : une vision poétique.
Matouw
8
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le 30 janv. 2014

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