Le Marquis de Sade a toujours affirmé que la vertu était source de malheurs au contraire du vice qui lui, apportait bonheur et prospérité. Le philosophe a parfaitement illustré ce concept dans son conte Les Infortunes de la Vertu où une jeune fille dénommée Justine voit ses actions vertueuses toujours punies par de multiples sévices.
Ecrite tout d'abord en 1787, l'oeuvre sera souvent remaniée et sortira sous différentes éditions, preuve de l'intérêt de l'auteur pour son personnage féminin. C'est ainsi que furent publiées respectivement Justine où les malheurs de la Vertu en 1791 et La Nouvelle Justine en 1797. Ces livres au contenu ô combien choquant rencontrèrent les foudres de la censure et le Marquis finira même par se faire arrêter en 1801 pour trouble à l'ordre public.
Au vu de tous ces événements, Justine fait ainsi partie des oeuvres les plus connues de Sade et bien évidemment, de multiples adaptations cinématographiques ont été faites dessus. L'une des plus célèbres est le Vice et la Vertu de Roger Vadim sorti en 1963...
Paris, ville ouverte
Avec ce film imparfait mais original, Roger Vadim transpose l'intrigue des Infortunes de la Vertu dans un Paris sous occupation allemande en pleine seconde guerre mondiale. C'est l'occasion pour le réalisateur de présenter le régime nazi comme le bourreau de la pauvre Justine. Pour info, Pasolini adoptera la même approche en 1967 avec son Salo, Les 120 Jours de Sodome, en faisant des nazis les tortionnaires du château maudit. Dans les deux films, l'objectif est de montrer que la philosophie sadienne (incluant son amour pour le vice) trouve son incarnation dans le fascisme. Sade aurait-il été satisfait d'une telle interprétation lui qui a si souvent critiqué dans ses récits le pouvoir despotique des grandes puissances ? Difficile à dire tant le marquis est parfois difficile à cerner...
Pour revenir au Vice et la Vertu, Vadim va donc faire de Justine le souffre-douleur des allemands qui l'enfermeront dans un immense château, lieu récurrent dans l'oeuvre sadienne, celui-ci faisant office de royaume secret pour les libertins et de prison pour les vertueux. Le château est également à rapprocher des demeures inquiétantes qu'occupent les ogres, géants et autres créatures dans les contes de fées.
Ici, les nazis se servent de l'endroit comme sérail et y exercent leurs expérimentations sur de jeunes prisonnières. On est cependant bien loin des horreurs que peut décrire Sade dans ses récits et on reste dans un certain érotisme kitch qui caractérisera Barbarella, future réalisation de Vadim.
La légèreté de Vadim
Preuve supplémentaire de l'aseptisation de l'univers sadien par Vadim, la fin de son film voit la vertu l'emporter sur le vice, le régime nazi se retrouvant complètement déchu. Le Marquis aurait sans doute trouvé cette fin affreuse, lui qui a martelé dans toute son oeuvre que le vice parvient toujours à ses fins.
S'il est donc clair que Vadim n'est pas aussi sulfureux que Sade, il faut toutefois rappeler qu'adapter un tel récit comme Justine en 1963 constitue un acte subversif en soi, quand on sait qu'avant les années 60 de nombreuses oeuvres de Sade étaient encore censurées et qu'en 1956, l'éditeur Jean-Jaccques Pauvert se faisait condamner par la justice pour avoir édité les romans Philosophie dans le Boudoir, Les 120 Jours de Sodome et... La Nouvelle Justine.