Un très joli film, sorti dans une France encore plongée dans une double culture, d’un côté une mythologie maréchaliste qui masque la vérité de l’occupation et en même temps un culte de la résistance. C’est un film tendre, qui vient souligner une forme d’amitié dans une époque rude. Nous avons là le premier film qui ébrèche la vision de la France résistante et du même coup le bouclier maréchaliste brandi depuis des années.
Le film nous dresse le portrait d’un enfant qui, tout en ayant, au fond de lui, conscience de la situation, refuse de quitter son enfance et continue à « faire des misères » à ses parents, en étant imprudent, en n’écoutant pas les recommandations. Situation difficile qui amène les parents à l’envoyer à la campagne, chez les parents de la femme qui les héberge actuellement à Dijon.
Un trésor inattendu
Dès lors va s’orchestrer une rencontre improbable, une entente merveilleuse entre un enfant juif et un vieux maréchaliste et vétéran de la Grande Guerre. Le vieil homme est maréchaliste, je tiens à la précision, et non pétainiste. Au fond, il voue un culte au maréchal, au chef, au « père » même qu’il a été pour lui, comme il le dit, quand il a fait la guerre. Il est xénophobe, oui, il est antisémite, oui également. Mais sa haine des Allemands empêche de faire de lui un pétainiste convaincu. L’image ambivalente de ce vieil homme est assez fascinante : cela transparaît encore plus nettement quand on le voit d’abord écouter Radio Paris, puis Radio Londres, caché dans son grenier. Taxons-le éventuellement d’un penser-double, alors, mais certainement pas de résistance ni de collaboration. Il espère la libération tout en véhiculant tous les stéréotypes les plus saugrenus sur les Juifs, les Anglais, les Bolcheviques et les Francs-maçons. La question que nous pouvons légitimement nous poser est s’il y croit réellement. Il nous apparaît en réalité comme le résultat d’une propagande massive, très forte également dans les campagnes, mais le film sait montrer la division qui restait parfois prégnante : ici, c’est avec le prêtre et son sermon qu’il est possible de s’en rendre compte. Discours intéressant s’il en est, il se montre avant tout critique, et c’est inattendu, mais la réalité est là : l’idéologie divise.
Autobiographie candide
La dimension autobiographique du film rend le tableau d’autant plus passionnant et touchant. Le réalisateur passe par le regard de l’enfant pour construire toute l’œuvre, met en lumière une autre histoire de la résistance, il dégonfle cette image trop lisse d’un peuple uniformément résistant : il y a ces enfants juifs sauvés par des familles, mais parfois à leur insu, il y a des femmes tondues, il y a cette institutrice qui retourne sa veste et tous ces gens dehors le jour de la libération alors qu’ils étaient bien silencieux et passifs pendant la guerre. Si la présence des Allemands est invisible dans le film, la brutalité des adultes éclate quant à elle au grand jour, tout comme le fait que ces campagnes se trouvent bien plus épargnées que les villes, ne serait-ce que du point de vue alimentaire.
Au-delà du tableau il y a, disais-je, cette rencontre, cette amitié improbable qui se construit entre l’enfant et le vieil homme : un jeu se met en place puisque l’enfant, face aux élucubrations antisémites et aux idées reçues du vieil homme, s’amuse à l’amener à se contredire, lui envoie des phrases bien senties, mais ne peut pas non plus s’empêcher de douter au sujet des clichés que le vieil homme évoque. Aucune vision simpliste ni univoque dans ce film donc, et c’est pour cette raison qu’il renferme à mon sens une richesse inouïe. Une dernière image marquante résume bien cette France occupée : au début, c’est Radio Londres qu’on écoute caché au fond du grenier, et puis peu à peu, la radio prend place dans le salon et c’est le portrait du maréchal qui est remisé. Un joli résumé, certes un peu acerbe, de cette France au penser-double.