En utilisant un terme anglophone, on appellerait ça aujourd'hui un "revenge movie" - ou film de vengeance - puisque c'est vraiment cela dont il s'agit : la vengeance d'un homme ordinaire qui n'a plus rien à perdre, puisqu'il a tout perdu, rattrapé par la guerre, comme des milliers d'autres, à qui on lui a tout volé, y compris ses espoirs. Il n'a plus rien. Plus rien que ses souvenirs et son vieux fusil. Ce fusil qui appartenait à son père, chasseur, et qui avait été remisé au grenier car pacifique de nature, il n'aime pas la chasse ni les armes.
Et c'est là que cette histoire devient intéressante et captivante.
Elle nous montre comment, par le gré d'événements malheureux, un homme, en apparence ordinaire, peut se transformer en "bête à tuer" et obsédé par une seule idée : prendre la vie à ceux qui ont pris celle de ses êtres chers ainsi que, symboliquement au moins, la sienne. Parce que Julien Dandieu, alias Philippe Noiret, meurt lorsqu'il découvre le cadavre de sa femme et celui de sa fille. Il meurt en esprit. Lui qui pensait finir la guerre dans son château de famille, en toute sécurité. Il y a aussi cette culpabilité qui le ronge. Le fameux "si j'avais su" mais, hélas, il est trop tard. La seule justice qu'il puisse rendre à celle qui était le trésor de sa vie, c'est de prendre celle des bourreaux de celle-ci. Il n'y a plus ni bien, ni mal, ni morale. C'est à travers de ce vieux fusil que Julien Dandieu va laisser libre cours à sa colère et sa souffrance.
Pour moi, ce film est toujours un must. Et il a à peine vieilli. En plus d'être un film de vengeance, il nous dresse aussi le portrait d'une grande partie de la population française sous l'Occupation, particulièrement ces "notables de provinces" qui, sans être ni collabos ni résistants, tentaient de survivre au jour le jour en attendant des temps meilleurs. La majeure partie de la population en fait. C'est aussi un film qui nous montre les atrocités de la guerre, les carnages dont se sont rendus responsables l'armée allemande alors en déroute, aux abois, et qui, tout en se déplaçant d'un axe à l'autre, ont commis divers massacres (on pense, bien sur, au tristement célèbre massacre d'Oradour sur Glane). On saluera, au passage, la brillante performance de Philippe Noiret dans ce métrage, dont la transformation est incroyable. Du petit médecin aux manières bourgeoises et paisibles, il devient une féroce machine à tuer, dénuée d'émotions, animée du seul sentiment de vengeance, la seule chose qui lui reste. Sa vengeance... et son vieux fusil...