J'ai toujours apprécié le talent de Shyamalan pour poser des atmosphères, vraiment. Le village ne fait pas exception. Photographie impeccable, ambiance très travaillée, rythme lent et contemplatif : il a sa propre recette qui fonctionne plutôt bien. Mais c'est à la fin du film qu'on prend conscience de ses vraies qualités.
Que vaut le village, au fond ?
En tant que film à frissons, pas grand chose d'extraordinaire je crois. Le cadrage se joue souvent du spectateur, tant et si bien qu'il enfante ses propres frayeurs, et c'est plutôt bien envoyé. Mais ça s'arrête là.
En tant que conte, il se pose plutôt bien, avec des petits twists narratifs simples mais efficaces.
C'est surtout lorsqu'on regarde la globalité du scénario, les petites choses presque invisibles (comme l'individu qui lit son journal vers la fin (pour ne point spoiler) qui baigne pratiquement dans la violence quotidienne que veulent éviter les protagonistes principaux), les petits rituels des aînés, que l'on comprend que, peut être, le village est un miroir tendu vers le spectateur pétri par une religion monothéiste.
là, utilisons la balise spoiler :)
Le village, c'est une groupe de personnes fatigué de la violence des hommes. Ils s'inventent des règles, ils s'inventent un enfer (les autres), des tabous (le rouge, la violence, le mensonge), et des spectres pour maintenir leurs pairs dans la crainte. Tout dans le village, y compris le mode de vie proche des premiers colons américains, évoque la crainte de dieu et l'envie de vivre sous le joug d'une paix et d'un amour, gages d' un monde meilleur, "imposés" par la crainte. Les règles ressemblent à s'y méprendre à une version light des dix commandements. Monothéiste aussi, parce que les trois grandes religions "du livre" furent globalement les premières à canaliser et réprimer la violence (la couleur rouge, le sang, est un grand tabou du village) là où les polythéismes la considéraient comme partie intégrante de l'homme, ayant un caractère inéluctable, et choisissaient plutôt de la laisser s'exercer, voire de l'exalter.
La seule personne qui brise ces tabous, c'est le fou, celui qui ne comprend pas l'importance des règles et à qui on ne peut pas les imposer. C'est lui qui peut mener la communauté à sa perte, mais aussi l'amener à se ressaisir.
Avec ce film, c'est (désolé de reprendre cette métaphore facile) comme un grand miroir tendu, dans lequel le spectateur d'une amérique de plus en plus dévote peut se voir, et peut être s'interroger sur sa vision du monde. Cette vision est elle belle ou hideuse ? Ca, le film ne le dit pas, ne porte pas de jugement. On a d'un côté ceux qui occultent une partie de la réalité pour retrouver une innocence perdue, quitte à se mentir et agiter des spectres contre leurs propres enfants. De l'autre ceux qui ont accepté la violence ordinaire mais vivent en pleine lumière. On ne sait pas qui a raison, et là n'est pas le propos. Peut être qu'on peut très bien être heureux dans la caverne de platon, mais ce bonheur en apparence facile a pourtant un prix bien réel.
Pour toutes les réflexions que ce film engendre, il vaut le coup d'être vu. Ce n'est pas qu'un simple thriller où on joue à se faire peur, c'est aussi un film où deux visions différentes du monde se dévoilent et s'opposent, dommage que certains ne l'aient pas remarqué car c'est là le coeur du film.