John Carpenter n’a pas son pareil pour portraiturer la ruralité américaine et ces bourgades suburbaines confrontées à une menace inattendue. Haddonfield est indissociable de Halloween, la Nuit des masques comme le village de pêcheurs d’Antonio Bay l’est de Fog. Dans Le Village des damnés, c’est Midwich, petite localité de 2000 habitants sans « rien à des kilomètres à la ronde », qui va être le théâtre d’un étrange phénomène : après avoir « entendu un soupir », tous les villageois s’évanouissent soudainement. Personne ne comprend de quoi il retourne, mais dans les semaines qui suivent, on observe « un taux de grossesse anormalement élevé ». Voilà le paisible hameau transformé en gigantesque maternité de fortune. En un tournemain, « Big John » a insufflé au long métrage une ambiance sépulcrale dont il a le secret.
Ce n’est pas une injure que d’affirmer que Le Village des damnés n’arbore ni la densité ni les fulgurances de The Thing ou New York 1997. Œuvre mineure, est-elle pour autant anecdotique ? Le dernier film de Christopher Reeve se distingue d’abord pour son ambiance soigneusement soupesée, arrimée à des têtes « blondes » taciturnes se déplaçant en binômes de telle sorte qu’on les croirait sorties d’une procession mortuaire. Lent dans sa progression, peu expansif dans son propos, anémique dans la caractérisation de ses personnages, Le Village des damnés est surtout un exercice de mise en scène – et en humeur ! John Carpenter inscrit l’inquiétude dans les yeux des adultes, l’hostilité dans ceux des enfants et instille un climat anxiogène annonciateur d’un conflit en passe d’exploser. La difficulté de verbaliser le film et ses qualités n’est guère surprenante, puisque ce qui prévaut tient à l’indicible : dans Le Village des damnés, rien, ou presque, n’est palpable ; tout se joue dans les non-dits, dans les plans programmatiques, dans la consommation des postures et des effets de genre.
On pourrait bien entendu commenter les mises à mort, ergoter sur les unions autour du deuil, réaffirmer cette tendance qu’a John Carpenter à mettre l’humanité en butte à des menaces destructrices ou analyser les détournements de lieux publics chargés de symboles (cimetière, école, hôpital…). Mais tout cela nous pousserait plus que probablement à surinterpréter les intentions de John Carpenter, quand ce dernier a manifestement surtout cherché à charpenter une ambiance étrange et à corrompre une figure virginale, celle des enfants.
Sur Le Mag du Ciné