L'homme au masque de chair
Hiroshi Teshigahara interroge le paradoxe étonnant du visage humain : il est à la fois porte ouvrant sur l'âme et masque opaque pour autrui. Dès lors, que devient un homme ayant perdu le sien ? Un reclus, un fantôme ou un monstre ? Peut-il toujours prétendre à tisser le lien social ou même à demeurer un homme ? Lorsqu'on lui redonne un visage mais le faciès factice empruntant les traits d'un autre, se pose la question de savoir s'il peut rester lui-même ou si ce vernis, tout comme il obstrue les pores de sa peau, étouffera son idiosyncrasie.
Bien que visuellement sans reproche avec moult effets innovants plus ou moins heureux, il est moins esthétiquement atemporel que la Femme des sables, moins âpre et plus maniéré que le Traquenard. Ces deux films montraient un processus mécanique d'exclusion, Tanin no Kao nous en montre la conséquence et la recherche d'une réinsertion. Les thèmes déjà esquissés dans ses précédents films tels que la texture de la peau (successivement la sueur, le sable et ici le latex), le doppelganger, la liberté existentialiste sont ici abordés de façon plus explicite, quasi-frontale. Toutefois, le film possède bien lui aussi cet équilibre si délicat entre intrigue ardente et parabole fantastique aux exhalaisons métaphysiques.
Dans la particularité d'un individu, Okuyama, se dessine donc le postulat d'une mise au ban mais également les débordements possibles de la Science. Le cabinet aseptisé du médecin avec ses murs de plexiglas imprimés d'écorchés, d'hommes de Vitruve, ponctués de prothèses suspendues et meublé d'un sofa-oreille biscornu s'apparentent en effet à une esthétique de science-fiction où le plastique froid et la peau fusionnent. Au sein de ce cabinet de Frankenstein est suggéré en écho à la principale une mini-histoire de cachoteries et d'apparences, ici toute banale puisqu'il s'agit d'adultère.
Le volte-face opéré par le héros est un symbole certes facile (que l'on retrouve d'une certaine façon par exemple dans les enfants de The Wall) mais efficace d'une déliquescence du monde contemporain où chacun porterait une cagoule lisse a l'exemple d'un flot de passants aux visages enrubannés.