Le prince, Iznogoud et la Belle au Bois dormant

… et surtout Aladin, alias Abu dans cette première version (seconde plutôt, le premier essai, aux temps héroïques, avait été proposé en 1920 par Raoul Walsh et Cameron Menzies, toujours présent ici). Aladin version Disney doit tout au Voleur de Bagdad, ses personnages (même si Abu est devenu … un singe, il est vrai qu’il est déjà transformé en chien dans le Voleur de Bagdad), son action ininterrompue, ses rebondissements, ses effets magiques en permanence, ses couleurs même – mais avec plus de cinquante ans de retard …

Aladin donc, et aussi Pégase, Vishnu sous la forme de deux avatars, une poupée gonflable, articulée et meurtrière, puis une déesse impavide et tout aussi menaçante ; mais encore les ombres portées de Sindbad (et ses tempêtes), d’Indiana Jones (et son temple maudit), de Robin des Bois (et son arbalète), de Lagardère, du Capitaine Nemo (et de son poulpe géant acoquiné ici avec une mygale géante, Sylla et Charybde) ; bref un fatras inextricable, syncrétique, mythologique, exotique et tourbillonnant. Cela n’arrête pas, les frères Korda ont voulu tout injecter dans leur énorme pièce montée : Vincent aux décors (essentiels), Zoltan à la production, et Alexandre un peu partout, jusqu’à la mise en scène, à côté de tous les metteurs en scène appelés à se succéder – le grand Michael Powell, Ludwig Berger, Tim Whelan, mais aussi Alexandre Korda, William Cameron Menzies et sans doute d’autres.

Les frères ont aussi fait appel aux plus grands techniciens – le grand Georges Périnal pour la prise de vues (un technicolor somptueux, en 1940), Percy Day, peintre renommé, aussi doué qu’étrange pour seconder Vincent Korda à la direction artistique (Day se chargera des maquettes et surtout des effets spéciaux), Marcel Vertes, peintre français et styliste renommé pour les costumes …

Et tout y passe : génie haut comme une montagne (et arborant déjà le slip rouge qui fera la renommée de Zardoz), tempêtes, créatures monstrueuses, temple maudit truffé de pièges, rubis gros comme le poing, miroir permettant de voir l’avenir, métamorphoses magiques, téléportations instantanées, amours contrariées, cheval volant, génie volant, tapis volant …

Et on en prend plein les yeux.

Oh, certes, tout n’est pas parfait ; Les effets spéciaux, innombrables, peuvent embler vieillis, mais encore une fois on est en 1940, et ils sont donc proprement sidérants. La musique par contre, les chansons surtout, sont assez insupportables. Le récit ne manque sans doute pas de facilités, et peut par contre surtout manquer de cohérence (ainsi l'épisode belle au Bois dormant ne sert-il à peu ,près à rien)– sans doute à cause de l’enchevêtrement successif des metteurs en scène provoqué par les frères Korda. Et on pourra trouver l’interprétation peu homogène : dans le rôle de l’horrible Jaffar, Conrad Veidt, grand comédien allemand (celui du Dr Caligari, échappé de l’Allemagne nazie – et que les Américains ne sauront jamais utiliser … que dans des rôles de nazi) est excellent ; de même Sabu /Abu, au destin très bref, que l’on reverra dans le Narcisse noir ou dans le Livre de la jungle compose un voleur très dynamique. Le prince et la princesse manquent par contre de charisme : June Duprez est très fade (le rôle avait été prévu pour Vivien Leigh) de même que John Justin pour son premier rôle (la moustache naissante ne suffit pas à faire un clone d’Errol Flynn ou de Tyrone Power).

Mais ce ne sont là que détails.

Car il y a ces rebondissements incessants, épiques, parsemés constamment de magie.

Il y a ce festival de couleurs, ce gros gâteau, en rose et en bleu quand l’oeil se perd entre les remparts, les tours, les dômes de Bagdad ou de Bassora, qui vire au sombre lorsque l’on pénètre dans le temple maudit, tourne presque au noir avec les apparitions maléfiques de Jaffar, pour à nouveau s’éclairer, en jaune au pays de la légende et de l’enfance, avant d’atteindre, ou presque, à un blanc virginal.

Rien que pour ses couleurs, le Voleur de Bagdad mérite d’être apprécié.

Film pour enfants ? Sans doute, avec son cortège de bons sentiments ; mais l’évocation, vers la fin, du paradis des enfants n’est pas mièvre; et le Voleur de Bagdad sait aussi être cruel (ce que Disney évidemment rabotera) : des flèches qui se plantent, toujours, en plein front ; l’assassinat en direct et sans pitié du sultan (que son aspect totalement bouffon ne pouvait pas laisser prévoir, ce qui peut déconcerter encore plus) par un automate meurtrier ; et même une décapitation, certes hors champ. Presque un film prémonitoire, un habitant ne murmure-t-il pas, dès que l’on évoque le pouvoir, « il faut être prudent à Bagdad " ? Quant au salut arrivant par le ciel …

Trêve de délires. Le voleur de Bagdad est un plat de qualité, copieux mais non sans finesse, à déguster pour les fêtes - entre enfants et grands enfants.
pphf

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