Le Voleur de Bicyclette m'a ému au point de vouloir partager avec vous ce que j'ai ressenti. Mais un bref passage sur la fiche du film me fait me demander ce que je peux dire de plus, de neuf, d'original sur un tel classique du cinéma.
Impossible de se distinguer des critiques les plus élogieuses, les mieux écrites et pensées. On va donc seulement essayer de rendre justice à ce chef d'oeuvre qui s'ouvre sur une promesse de jours meilleurs, en pleine Italie d'après-guerre, quand Antonio, enfin, décroche un travail... Que l'employeur conditionne à la possession d'une bicyclette qu'il a mise au clou pour survivre. Première déconvenue que son épouse Maria surmontera. Parce que pour dormir, il n'y a pas besoin de draps. Maria a le sens pratique et des réalités, comme toutes les femmes. Les visages s'éclairent soudain. Le deux roues tout juste racheté est un premier pas vers une vie un peu plus argentée, vers un emploi enfin offert.
Mais la joie est de courte durée. Car à peine le dos tourné, la bicyclette disparaît et Antonio court à perdre haleine pour la rattraper. Rattraper cet avenir moins miséreux qui promettait tant. Il se lance dans une course poursuite dans l'indifférence générale. Et ce n'est pas une plainte devant les forces de l'ordre qui fera avancer les choses. Le sentiment d'injustice se mêle à l'abattement et à l'impuissance. Antonio arpente donc sans relâche une Rome des exclus et des laissés-pour-compte afin de retrouver son modeste trésor sans lequel le travail qu'il a tant désiré ne peut plus être fait. Promenade dans une société d'après-guerre qui a peine à se reconstruire. Jusqu'à cette arrière cour où il semble confondre son coupable. Mais l'impuissance et l'injustice l'emportent une fois encore à la faveur d'une Comedia Dell'Arte et de la force du nombre.
Une telle histoire, si simple, si commune, ne mériterait en temps normal aucune attention. Mais son contexte social et économique en fait tout le prix. S'il baisse d'abord les bras dans un premier mouvement d'humeur, Antonio se ressaisit ensuite. Pour sa femme, pour ses enfants. Et plus particulièrement son fils Bruno qui, un peu plus tôt, briquait le vélo de toutes ses attentions. De toutes les attentions pour son héros.
Vittorio De Sica est réaliste dans sa mise en scène. Sans pour autant, dans un équilibre parfait, en faire trop, ou en rajouter dans le pathos et l'émotion facile. Il filme un père qui se débat, qui veut saisir la chance qui lui est offerte de s'en sortir. De vivre simplement dignement. Car plus qu'un simple vélo, c'est ce que son voleur lui a pris. Son fils le suit à la trace, en trottinant. Et au final, plus que sur une histoire de menu larcin, De Sica se focalise sur des relations père / fils tout aussi complices qu'elles se distendent dans une gifle donnée sous le coup de la colère. Bruno est dès lors le témoin intime de l'histoire qui se déroule, vue via le filtre de l'admiration qu'il porte à son père. Il est aussi le ressort de moments un peu plus légers, d'un "comique" rare et délicat, le temps d'une messe préalable à une soupe populaire ou d'un dîner au restaurant.
Ces relations établies, le final du film ne s'en révèle que plus grand. La honte portée comme un fardeau après s'être rabaissé au niveau de son voleur fait descendre Antonio du piédestal sur lequel l'avait hissé son fils. Acculé, désespéré, il n'échappe que de peu à la vindicte qui l'a rattrapée. Et on ne peut que mettre en parallèle le larcin inital, accompli dans une indifférence générale, et cette dernière scène, où l'homme de peu, digne dans sa misère, est poursuivi pour un acte irréfléchi, la folie d'un instant fugace.
Le chapeau ramassé, sa petite main glissée dans celle de son père, Bruno réalise que ce dernier n'est qu'un homme. Et que le voleur du titre a volé bien plus qu'un simple vélo : des illusions, un espoir, son enfance.
Behind_the_Mask, bouleversé.