Un film sorti juste après la Seconde Guerre Mondiale, et sans doute l'un des plus beaux fleurons du Néo-réalisme italien, ce courant initié par Rome Ville ouverte de Rossellini, mais qu'amorce déjà Ossessione, première oeuvre de Visconti réalisée en 1943 qui sonne le glas d'une époque passée, un courant où les réalités du quotidien, le travail et la pauvreté, forment désormais le terreau artistique d'un cinéma aux prises avec les difficultés matérielles, une "poésie de la vie" née à l'ombre de la guerre qu'évoque de Sica :



L'expérience de la guerre fut déterminante pour nous tous.
Chacun ressentit le désir fou de jeter en l'air toutes les vieilles histoires du cinéma italien, de planter la caméra au milieu de la vie réelle, au milieu de tout ce qui frappait nos yeux atterrés. Nous cherchions à nous libérer du poids de nos fautes, nous voulions nous regarder en face, et nous dire la vérité, découvrir ce que nous étions réellement,et chercher le vrai."



Et c'est justement ce désir d'observer sans fard les problèmes d'une société déchirée par la guerre et ceux de l'homme épuisé par tant de luttes et de souffrances, qui va favoriser l'éclosion de films élevant la chronique simple au niveau de la poésie et de l'art.
Dès lors, on comprend d'autant mieux le choix d'acteurs non professionnels pour incarner ces déshérités de la vie au lendemain de la guerre, ces chômeurs, luttant jour après jour contre la faim, dans l'attente d'un travail, supportant le poids de la misère avec dignité : ces hommes, à qui Le Voleur de bicyclette est dédié.


Une file d'attente qui n'en finit pas, des visages hâves et blêmes, des regards fiévreux s'épiant les uns les autres tandis qu'un préposé chargé de l'embauche, appelle des noms, indifférent, les yeux rivés à son papier.
Un homme, assis à l'écart, se lève, s'entendant interpeller : oui, c'est bien lui, Antonio Ricci, chômeur depuis deux ans, à qui échoit le travail inespéré de colleur d'affiches.
"Tu as une bicyclette? Sinon j'embauche quelqu'un d'autre."
Le ton est dur, la phrase sans appel, des cris fusent de toutes parts : "moi, j'en ai une", "moi aussi", "la mienne est là" !
La bouffée d'espoir qui avait envahi Antonio, retombe : si seulement il ne l'avait pas mise au clou sa bicyclette !
Mais Maria, avec ce sens pratique qui caractérise les femmes, ne renonce pas, elle vendra son trousseau de mariage, déclarant avec cran : " pour dormir on n'a pas besoin de draps !"
Scène familiale de bonheur fugace, l'une des rares du film, où le visage sec et émacié d'Antonio s'éclaire et s'adoucit, l'époux retrouvant des gestes de tendresse oubliée quand la vie semble enfin leur sourire.
La bicyclette, promesse de jours meilleurs, trône désormais dans la pièce, objet de toutes les attentions, ce qu'a très bien compris Bruno, le jeune fils, bouille attendrissante d'enfant vieilli trop tôt, qui frotte et astique avec amour la machine qui doit changer leur vie.
Dans cette Rome dévastée d'après-guerre, ce premier jour de travail est presque un jour de fête : aux aurores, père et fils quittent la maison, ensemble sur le vélo qui les ramènera le soir.


Perché sur son échelle, Antonio s'applique à coller ces affiches de rêve où Rita /Gilda semble lui sourire, mais qu'il ne voit pas, tout absorbé par sa tâche, tandis que dans la rue grouillante de monde, travailleurs et désoeuvrés défilent et se pressent, spectacle quotidien d'une ville en pleine reconstruction.


Pas de suspense, on l'aura deviné : le temps de se retourner, Antonio voit disparaître sa bicyclette et avec elle ses rêves insensés d'un avenir plus rose.
Panique et course folle le long des rues, dans une ville où l'homme se perd et se dilue, obsédé qu'il est de retrouver son outil de travail : autour de lui tout s'effondre.
Commence alors la marche forcée dans une Rome misérable, les recherches éperdues, les espoirs déçus, les brimades et les humiliations, mais toujours dans la main d' Antonio, celle de Bruno, petit bonhomme formé à la douloureuse école de la vie, qui veille et surveille, à l'affût du moindre tressaillement sur le visage creusé de son père.


Une réalisation bouleversante qui n'a gardé du mélodrame que les bons côtés, ne versant jamais dans la caricature ou le pathos, ce qui donne au film une force d'émotion brute, de celle qui font les grandes oeuvres.
Et je retiendrai, émue aux larmes, la scène où l'enfant, devenu le père de son père, outragé, choqué, mais toujours aimant, ramasse le chapeau, symbole de la dignité perdue d'un homme qui a failli, dans ce monde impitoyable qui ne laisse aucune place aux humbles.

Aurea
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le 1 avr. 2014

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le 2 avr. 2014

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Aurea

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