Alors le Groenland, c’est ce gros truc en glace là-haut et qui appartient aujourd’hui au Danemark, et là-haut, sur la côte ouest, il y a le village de Kullorsuaq, l’un des derniers villages de chasseurs du Groenland (on y chasse le narval, le phoque et l’ours). Et donc là-haut, à Kullorsuaq, Thomas et Thomas débarquent un jour tout sourire, loin de la place Gambetta et des tracas parisiens, pour rendre visite au père de Thomas (celui-là, pas l’autre) qui vit ici depuis plus de vingt ans. Évidemment, c’est le décalage immense entre ces zozos hirsutes et leur découverte du mode de vie groenlandais (le soleil qui ne se couche pas, le foie de phoque cru, la chasse, la pêche…) qui va servir de mécanique comique au film.
C’est surtout la dégaine d’ahuri de ces deux hurluberlus (Thomas Blanchard et Thomas Scimeca composent un duo désopilant comme on n’en avait pas vu depuis longtemps) qui fait beaucoup rire, genre mi-bobo mi-hipster mi-loser avec cheveux jamais coiffés, anglais approximatif et façon de parler un rien affectée en n’importe quelle circonstance. Sébastien Betbeder s’amuse de (et avec) ses deux anti-héros lâchés au fin fond du bout du monde pour des anti-aventures où une simple connexion à Internet devient un grand moment de suspens et de drôlerie (l’un des deux Thomas comparant même son statut d’intermittent du spectacle à celui de chasseur de phoques, et le nombre d’heures travaillées à celui de phoques tués).
Outre son lot de gags et de scènes délicieusement décalés, Le voyage au Groenland est aussi un voyage tendance initiatique pour Thomas (non, celui-ci, pas l’autre) dont la vie n’avance pas (relation amoureuse au point mort, figurations miteuses, avenir incertain) ; un voyage qui lui permettra également de renouer avec son père dont il se rapprochera peu à peu. Léger, désinvolte, jamais moqueur, un rien anecdotique parfois, le film évoque aussi la place des Inuits dans un monde de plus en plus fluctuant : précarité, chômage, alcoolisme, suicide, tiraillement entre traditions et modernité. Donc voilà. De l’humour, de l’émotion, de l’ethnologie, et même un soupçon de gore (un dépeçage de phoque dans les règles de l’art) : Le voyage au Groenland trimballe tout ça avec lui pour nous offrir une jolie parenthèse (givrée) dans notre tout petit monde (pas vraiment givré).
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)