Regarder Le Voyage dans la Lune aujourd’hui génère une émotion similaire à celle qu’on pourrait ressentir devant un incunable, ou les enregistrements originels du blues du Mississipi. On est là devant l’origine du monde.
Il ne s’agit pas de déterminer les maladresses ou l’amateurisme, les soubresauts de la restauration ou les limites de la narration.
Il s’agit de prendre la mesure de ce que fut le cinéma à ses origines : un tour de magie qui avait la prodigieuse innovation de durer 15 minutes. Un voyage, donc, des processions, une suite de tableaux dont la fluidité des enchainements fait oublier plans fixe et absence de son. Une profondeur de champ fantastique où des personnages surgissent de parties qu’on croyait peintes, où les constellations s’humanisent et les champignons poussent, où le clair de terre illumine d’un jour nouveau le cinéma, jusqu’à alors rivé au sol. Une couleur qui semble annoncer le psychédélisme et une ode au décollage, une fusion avec tous les éléments et une apologie de la découverte vers l’imaginaire sans borne.
On a beau restaurer avec toute les technologies de pointe, c’est ce charme-là qui opère le plus : la fraicheur de cette expérience qui induit dans des tableaux l’idée du mouvement : dans ses vagues, dans ses perspectives en trompe-l’œil, dans la magie du montage qui permet de faire pousser un champignon à partir d’un parapluie ou disparaitre en autochtone dans un nuage de fumigène. Par leur mouvements saccadés, toutes les foules du récit se ressemblent : les savants sceptiques, les astronautes en vadrouille, les êtres lunaires qui les emprisonnent ou la foule terrienne qui les acclame : et c’est bien là la chambre d’écho de ce cinéma des origines : un flux fédérateurs qui unit tous les êtres mouvants dans une même danse à la gloire de la féérie et du voyage.
Les modes passent, et avec elles les cortèges de musiciens venus habiller l’œuvre intouchable : Air, ici, comme Lambchop pour L’Aurore. Rencontre un peu incongrue, vaguement hype, sans grand intérêt sinon de révéler à quel point l’image a sa propre intégrité, atemporelle et fondatrice pour l’histoire du septième art.