Le Voyage de Chihiro, dans un bordel, ou dans un camp de travail ?
Je ne vais pas reprendre les introductions des critiques que j'ai faites des autres Miyazaki, qui commencent toutes par reconnaître la force des images. Les décors, l'animation, tout ici est parfait. Comme d'habitude, j'ai envie de dire, ni plus, ni moins. Les protagonistes principaux sont admirablement bien animés, dessinés, la musique (peut-être légèrement en deçà... peut-être) accompagnent l'ensemble, les voix (en VO) sonnent juste (avec une mention spéciale pour le Sans Visage, dans ses différentes incarnations (la voix, l'animation, tout).
Maintenant, le pitch du film ? Oh, oui, on me dira que c'est une pré adolescente perdue qui suit une quête initiatique dans un environnement merveilleux mais hostile, elle apprendra les vertus du travail, de l'amour, du courage, de la rébellion, de la loyauté etc.
Mais c'est aussi une fille de 10 ans qui devient adulte dans un bordel. Alors, oui, apparemment, Miyazaki ne validerait pas cette interprétation, Sen serait réellement en train de purifier l'esprit d'une rivière Shinto pollué par la civilisation, sauf qu'à l'écran, on a vraiment un gros client répugnant mais puissant, et que c'est la toute jeune fille qu'on lui envoie.
Le courage, l'abnégation, la loyauté (envers Haku ou ses parents) sont évidemment de nobles vertus, mais ce qui saute vraiment aux yeux, c'est que c'est par le travail et la soumission que Sen/Chihiro commence vraiment à trouver sa place au sein de cette maison ; oserais-je dire que, dans un premier temps, c'est le travail qui la rend libre ? Oui. On pourra arguer qu'elle ne s'émancipe vraiment qu'en s'enfuyant, malgré tout c'est en commençant par se soumettre qu'elle est acceptée.
Peut-être que voir Chihiro avec le regard d'un père change la donne, mais si le message de ce film c'est que seule la soumission à une autorité arbitraire permet à l'enfant de trouver sa place dans le monde des adultes, je n'ai pas vraiment envie de le suivre.
Malgré tout, Chihiro est un film maîtrisé, et si ses thèmes me dérangent, je dois reconnaître que son exécution est sans reproche. Comme Chihiro, on est complètement perdu dans ce folklore (probablement plus qu'elle en fait, en bon spectateur occidental), il faudra bien les deux heures du film à l'héroïne comme à moi pour mettre un peu d'ordre dans le chaos apparent (et uniquement apparent) ; on suit donc passionné les aventures de la jeune fille, entre sa crainte de Yubaba, son amour pour Haku et ses deux guides, Kamaji et Lin qui lui enseignent la sagesse.
On retrouve évidemment certains thèmes proche à Miyazaki, le dégoût de la société de consommation (le père qui se croit tout permis parce qu'il a de l'argent et sa carte, le client richissime dont on passe tous les caprices), les dégâts de l'homme sur son environnement (la rivière polluée) ; ceux-ci sont néanmoins traités avec beaucoup moins de subtilités que dans certains de ses autres films.
En résumé, il est exclu de dire que Le Voyage de Chihiro est un mauvais film, non, évidemment. Ne serait-ce que sur sa partie technique, c'est un bijou, et on s'identifie fortement à son héroïne dans ce monde étrange et magique. Mais on ne peut oublier ce qu'on a vu, et certains images, certains propos m'ont vraiment choqué.