Le Voyage de Chihiro
8.4
Le Voyage de Chihiro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2001)

Chihiro se tient là, debout, l'eau jusqu'au cheville, accompagnée de son mystérieux ami fantomatique. Le tramway arrive, repoussant tranquillement l'eau sur son chemin ferraillé. Ils montent, et voient un paysage immense, presque vide, défiler durant des heures. L'univers caché que Chihiro a découvert au début du film prend alors à cet instant toute son ampleur, le microcosme s'élargit subitement en macrocosme. C'est à cet endroit, à ce moment là précis que la poésie évocatrice du cinéma de Miyazaki atteint son paroxysme absolu. J'en frissonne encore.


Dès le début du récit, décrivant la perte totale de repère de sa jeune héroïne, "Le Voyage de Chihiro" renoue superbement avec la noirceur des films d'animations d'antan. Du temps ou l'on édulcorait rien pour les beaux yeux de nos chérubins, bien au contraire. Et voir ses parents, punis de leur gloutonnerie, se transformer en cochons, c'est ce qu'on peut appeler une rupture traumatisante, autant pour Chihiro que pour le jeune spectateur que j'étais au moment de mon premier visionnage.


Pour étoffer ce ton d'une grande maturité, Miyazaki invente encore une fois une grammaire visuelle symbolique et foisonnante, nettement moins sombre qu'un Nausicaa, mais nettement plus qu'un Totoro, et tout aussi poétique. Des décors somptueux, astucieusement issus de la culture japonaise, mais surtout des personnages à l'apparence grotesque et démesurée, se rapportant au domaine de l'enfance, et s'inspirant de la mythologie japonaise. A l'image de cet employé moustachu aux multiples bras élastiques, ses subalternes les petites boules de suies, ce canidé énorme et boudiné étouffant Chihiro dans un ascenseur, le dieu d'une rivière vomissant la pollution humaine, cette sorcière au visage immense et terriblement expressif, et enfin son chérubin au corps là aussi monstrueusement hors-norme. Tout cela donne une vision du monde cauchemardesque et immature, comme si les repères de l'enfance de Chihiro prenaient une forme absurde pour la bouleverser et la faire évoluer, traduisant son désir de changement.


Et cette émancipation est tangible à travers d'autres personnages, s'inscrivant en opposition à ceux évoqués plus haut. L'employée des bains Lin, la sœur jumelle de la sorcière symbolisant la sagesse et la tranquillité tandis que l'autre est impulsive, mais aussi et surtout Haku, l'homme que Chihiro a toujours aimé, se transformant en majestueux dragon. Ces derniers aident Chihiro à comprendre le monde hostile dans lequel elle vient d'apparaître, et la guide vers une échappatoire.


"Le Voyage de Chihiro", est une oeuvre tellement touffue, à la fois infiniment riche dans ses trouvailles visuelles et profondément philosophique dans son propos, que tenter d'être exhaustif dans la démonstration de ses qualités et de sa symbolique est une quête vaine, forcément inachevé. Le film, par-dessus tout, est porteur d'émotions vives, taillés dans une névrose certaine, et pourtant d'une joie et d'un idéalisme sans concession. C'est une parfaite représentation de ce trouble de l'esprit commun à chaque être humain : la peur d'oublier avec le temps ce qui nous réjouissait, et l'appréhension d'un avenir à la stabilité incertaine.


Alors que défile le générique, on prend évidemment conscience du caractère initiatique des événements vécus par Chihiro. Mais s'agit-il d'un passage à l'adolescence ou à l'âge adulte ? Chihiro se situant entre les deux, la réponse se veut donc bien plus subtile. En vivant brutalement l'émancipation parentale, l'amour et l'effort, physique comme moral, quasi-surhumain, mais surtout en prenant conscience de l'infinité du monde qui l'entoure, Chihiro a atteint la maturité, la sagesse adulte dont même ses parents sont dépourvus. Elle n'est alors pas seulement prête à affronter la vie qui l'attend, mais à en capter la plus substantielle moelle. En un mot, Chihiro est prête à atteindre le bonheur.


Ma critique de "Ponyo sur la falaise" :
http://www.senscritique.com/film/Ponyo_sur_la_falaise/critique/37779573


Ma critique du film "Le Vent se lève" :
http://www.senscritique.com/film/Le_vent_se_leve/critique/37483896

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le 25 nov. 2015

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Marius Jouanny

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