Je ne connaissais Ida Lupino qu'actrice (vue avec Steve McQueen dans "Junior Bonner" et avec Humphrey Bogart dans "High Sierra" aka La Grande Évasion), et voilà que je la découvre en réalisatrice d'importance, autrice de 7 ou 8 films, et l'une des rares femmes à avoir mis en scène un film noir — si ce n'est la première, même si ce titre est contesté, ne serait-ce que par l’existence d’un spécimen antérieur norvégien : Døden Er et Kjærtegn (La Mort est une caresse, 1949). Un film noir greffé avec la série B, de par l'ampleur de l'intrigue en quasi-huis-clos (dans une voiture, dans un coin de désert, et une série de lieux restreints, et très délimités dans l'espace) et par les moyens que l'on imagine. Mais même si l'ensemble est bouclé en 70 minutes, Lupino parvient à maintenir une tension assez convaincante avec seulement trois protagonistes.
D'un côté deux hommes qui voulaient partir au Mexique pour tromper leurs femmes (a priori, ce n'est pas tout à fait clair) en prétextant une escapade à la pêche, au lien assez peu clair (on ne sait pas vraiment jusqu'où va leur amitié), et de l'autre le truand parfaitement interprété par William Talman, avec une très bonne entrée en matière (on ne voit que ses pieds, puis son revolver, puis sa silhouette dans la pénombre). Un réalisme glacé parcourt tout le film, centré sur ce petit microcosme et sa relative évolution, dominé par la présence de l'arme qui revêt de temps à autre un caractère phallique. Talman avec son œil droit toujours ouvert est un symbole d'oppression assez particulier, la personnification d'une implacabilité parfois dérangeante.
Non pas que l'aspect "inspiré par un fait réel" soit si important, quoique très mis en avant en introduction, mais c'est son sadisme et ses intentions qui sont et resteront difficilement compréhensibles. Avec une modestie de moyens qui rend l'approche très humble, "Le Voyage de la peur" (aka The Hitch-Hiker) est un peu l'exemple type de la série B réussie, en qui on peut voir les germes de films comme le plus réussi "Hitcher" de Robert Harmon (1986). Un peu plus de moyens et on avait là un regard cru et pertinent sur une chaîne d'asservissement par l'autorité de Myers, toujours prêt à humilier.