Le film commence et termine par la même scène. Exactement les mêmes images d'une troupe de comédiens qui arrive dans une petite ville. Seuls les commentaires en voix off changent. Au début, nous sommes à l'automne 1952. A la fin, nous sommes en 1939. 13 ans. Ce sont ces 13 années qu'Angelopoulos va nous faire vivre. 13 années rudes, difficiles, douloureuses pour la Grèce. Occupation nazie, guerre civile, avec tout son lot de souffrances pour le peuple. C'est ce la que va nous montrer le cinéaste grec, à travers un film de 3h50.
ça vous parait long ? Mais c'est la même durée qu'Autant en emporte le vent, c'est plus court que le Cléopâtre de Mankiewicz.
Comme d'habitude chez Angelopoulos, c'est lent, ce sont des plan-séquences très beaux, il y a assez peu de dialogues et beaucoup de symbolisme, les paysages sont gris et les personnages errent. Si vous vous attendez à ces paysages de cartes postales, des plages ensoleillées, des îles qui font rêver, bref tout ce qui fait que la Grèce est un des plus beaux pays au Monde, et ben... ne regardez pas ce film (ni aucun film du cinéaste, d'ailleurs). Chez lui, les villages sont grisâtres, les rues sont boueuses, les arbres sont morts. Chez Angelopoulos, c'est toujours l'hiver. Un climat qui correspond bien à la situation politique décrite dans le film.
Et à la situation politique en vigueur pendant le tournage du film : Angelopoulos a fait son film quand la Grèce était une dictature militaire. Le parallèle entre l'action du film et la réalité à l'instant du tournage est une évidence et même si, à la sortie du film, le pays n'était plus vraiment une dictature, tous les spectateurs grecs ont dû faire le rapprochement.
A cette évocation elliptique et froide des années noires de la Grèce, le cinéaste ajoute une intrigue entre les comédiens. Une intrigue qui est constituée de références aux grands mythes antiques (c'est bizarre, ces personnages qui s'appellent Electre ou Oreste, ça rappelle quelque chose). car ces mythes sont bien plus que de vieilles légendes. Il y a plus de vérités dans les mythologies que dans bien des livres de philosophie. Et rien n'est plus actuel que ces histoires apparemment farfelues dont l'origine semble se perdre dans la nuit des temps. Histoires de violences et de trahisons, de souffrances et de vengeances.
Ces mythes permettent également de rendre l'histoire universelle. Bien entendu, ce film se déroule en Grèce, mais n'importe quel spectateur peut se rendre compte que ce qui est raconté (lutte contre la tyrannie, survivre au chaos, la question de l'engagement) s'applique à tous. Et l'emploi des mythes facilite l'appropriation de l'histoire par tous.
Ce qui gêne, finalement, c'est la quasi absence de narration d'Angelopoulos. On a l'impression qu'il ne raconte pas, il se contente de montrer les choses, avec distance, sans fausse pudeur mais avec froideur. Pas d'empathie. Simplement une caméra virtuose qui, au fil de ses lents mouvements de plans-séquences, montre ce qui se passe. Presque sans émotion.
Du coup, il est difficile de vraiment adhérer au film, de s'engager pleinement dedans. Ce n'est pas là que l'on va rire ou hurler. On va juste se laisser porter par le film.
Alors, forcément, si vous êtes allergiques aux films longs et lents, passez votre chemin. Sinon, laissez-vous embarquer. Ce n'est pas le meilleur film d'Angelopoulos, mais c'est une belle expérience cinématographique.