Film de Robert Guédiguian sorti en 2006.

N'étant pas dans cette situation, je ne peux qu'imaginer qu'un enfant (voir petit-enfant) de réfugié ou d'exilé puisse un jour avoir envie d'aller voir, d'aller tenter de renouer avec un passé peut-être pas complètement mort, de chercher des descendants d'ancêtres communs. Je comprends parfaitement que Guédiguian, né et ayant été élevé dans une diaspora arménienne à Marseille, ait pu avoir envie de faire un film sur ce sujet.

Le scénario met en scène l'actrice Ariane Ascaride dans un personnage de médecin à Marseille qui prescrit à son père (d'origine arménienne) une grosse opération sur son cœur malade. Ce dernier ne voulant pas prendre le risque de claquer sur le billard s'enfuit en Arménie sans le dire à personne. Ariane Ascaride, qui ne s'est jamais intéressé à ses racines arméniennes, s'embarque pour aller retrouver son père et l'obliger à se soigner.

Le film qui prend prétexte de ce motif (futile) de santé deviendra un véritable voyage d'initiation et de rencontres pour Ariane Ascaride qui ne parle pas un mot d'arménien.

Elle y découvre une ex-"province" soviétique très pauvre qui rêve de l'ancienne Arménie dont une partie des terres, le symbolique Mont Ararat, est occupée par la Turquie, l'ennemi héréditaire, cause du génocide du début du XX-ème et de l'exil d'une partie de la population.

Si l'Arménie a su conserver, malgré des décennies de communisme, ses traditions, sa culture et sa religion, en revanche, Ariane Ascaride rencontre un pays rongé par la corruption et les pouvoirs mafieux qui ont pris le relais de l'administration communiste. Ces maffieux trafiquent allègrement sur le commerce des médicaments (entre autres). C'est le "bizness" comme certains le lui rétorquent avec condescendance, en bref, un travail d'hommes que les femmes ne peuvent comprendre. Et du "bizness", il y en a partout, sur tout. Beaucoup de monde en croque dont ceux en place à la tête de l'État dont la fonction semble se réduire à une simple normalisation des trafics (au sens de "trafic oui, mais trafic d'État).

Je disais donc que l'idée de base du film se tenait mais que le sujet a fait exploser le scénario en bien trop de problématiques qui seront bien trop simplifiées au point d'en être peu crédibles voire ridicules.

Comme la scène du règlement de compte entre deux bandes de mafieux où Ascaride (je rappelle, médecin à Marseille) prend le révolver d'un mort et s'amuse à truffer de balles un des mafieux devant le regard interloqué et scotché des autres mafieux patibulaires … Bon, d'accord, c'est très possible que la maffia arménienne ait des leçons à prendre pour acquérir plus de compétences mais quand même. En plus, là, prise sous l'aile d'un ponte de la police (ancien arménien de Marseille, engagé dans la sinistre ASALA puis refugié en Arménie n'étant plus persona grata en France), elle recevra le pardon officiel de la maffia dans une scène touchante où j'ai failli verser une larme. Là, la couleuvre a eu du mal à passer dans ma gorge.

Et je passe sur la jeune coiffeuse qui a appris le français dans l'idée d'émigrer en France, terre de cocagne, qui semble savoir faire un peu tous les métiers (même les plus anciens du monde) et qui sert d'interprète à Ariane Ascaride. Sous la bonne influence d'Ariane et du chef de la police, elle va trouver subitement un beau, jeune et pur jeune homme. Battant le fer pendant qu'il est chaud, on va même célébrer de touchantes fiançailles dans l'église souterraine de Grégoire 1er l'illuminateur.

Le personnage d'Ariane Ascaride doit, en plus, gérer ses propres contradictions puisqu'elle avoue avec fierté trente ans de militantisme communiste (en France, après guerre). C'est sûr que c'est le truc à porter en bannière dans un pays qui vient juste de se libérer de presqu'un siècle de soviétisme …

Honnêtement, le film est une bonne illustration du proverbe "qui trop embrasse, mal étreint". Je pense que le film aurait eu une autre allure s'il s'était simplement contenté d'un retour vers des racines familiales et vers une redécouverte d'un pays aux traditions très fortes. Guédiguian a voulu aborder les vrais problèmes politico-économiques d'un petit pays enclavé qui cherche à renaître de ses cendres dans un contexte de mondialisation exacerbé. Je pense que l'angle choisi n'est pas le bon pour faire ça car pas du tout crédible.

Moi, du film, je ne garderais bien que l'image et le personnage du chauffeur de taxi dont on sent l'homme philosophe et bienveillant qui a pris l'habitude de passer à travers les gouttes de l'Histoire pour juste survivre et rendre service.


JeanG55
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le 11 févr. 2025

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