Tsai Ming-Liang nous livre là un objet peu évident, poussant à son paroxysme son travail sur les notions de temps et de mouvement. En à peine un peu plus d'une douzaine de plans le réalisateur taïwanais signe un film faussement indolent, dont l'ampleur se donne telle une rêverie, une épiphanie, un voyage en somme...
C'est donc parmi les phocéens qu'un étrange moine asiatique exécute son voyage ; le marcheur sera de pratiquement tous les plans, uniquement absent lorsqu'il s'effacera devant le visage irrégulier de Denis Lavant... C'est du reste ce dernier qui introduira le film de Tsai Ming-Liang, offrant sa gueule dans un close-up interminable mais fascinant. Entre attente parcellaire et hypnose intégrale cette installation minutieuse est le film de tout un miracle, de toute sa reconstitution : jouant sur différentes vitesses et différentes échelles de plan le cinéaste s'attèle à suivre l'involution cinétique de ce marcheur infatigable, maintenant l'harmonie du monde environnant à la manière du poète exilé du Nostalghia de Andreï Tarkovsky, ce poète qui préservait la flamme d'une bougie dans l'immensité d'une piscine désaffectée...
Le concept pourra sembler vain pour certains spectateurs, tant l'apparente aridité du dispositif escamote toute charge informative et narrative... Si l'on accepte simplement l'idée de suivre plus ou moins scrupuleusement cette très lente déambulation le film aura peut-être la capacité d'offrir un pur moment de contemplation, d'une densité visuelle peu commune permettant d'exercer notre regard par la seule force de l'imperceptible et de sa durée intrinsèque. En définitive la rémanence de ce Voyage en Occident restera un petit don dérisoire, quasiment insignifiant et pourtant plus qu'honorable compte tenu de la production cinématographique contemporaine. Sidérant.