Extérieur, demi-jour. Neige blafarde à perte de vue, et le trash d’un mouton égorgé , puis dépecé méthodiquement par Aslan , 13 ans, et sa grand-mère. une séquence longue presque sans aucun son, à part ceux du mouton, ni aucune musique. Dès la première image de la première scène de cette séquence, on sait que le drame sera inéluctable. On ne sait pas comment ni qui ça va frapper, mais on sait que ça va frapper fort.
Voici donc Aslan, un bel adolescent peu expansif. pas belliqueux, mais sans doute traumatisé par l’abandon de la mère (partie ? décédée? nul ne le sait) et de l’absence d’un père dont il n’est fait mention à aucun moment dans le métrage. Aslan aime les sciences, possède un atelier rudimentaire dans sa chambre, et les animaux.
Aslan fréquente un collège où les élèves sont inhabituellement sérieux, peu de chahut, peu de rires, une concentration sur le savoir dispensé (L’energie de Joule comparée à l’argent qui serait l’énergie suprême permettant tout simplement de vivre, le discours non violent de gandhi, comme champ des possibles, les mathématiques comme source de joie, ou au moins de jubilation, …). Mais cette vie collégienne se déroule sous la violente contrainte d’un système mafieux qu’Emir Baigazin décrit de manière méthodique, lors de scènes détaillées qui laissent au spectateur le temps de s’imprégner de l’atmosphère suffocante que les élèves y respirent.
A la suite d’une mauvaise blague de la part de ses camarades de classe, Aslan, plutôt en quête d’harmonie, de propreté, se sent souillé, et de plus se voit ostracisé par les dits camarades suite à cet incident. Il pense alors à une vengeance envers Bolat, le chef de ses persécuteurs, un jeune qui n’inspire aucune sympathie, tant ses agissements semblent être dictés au mieux par la bêtise crasse, au pire par la méchanceté pure qu’à l’inverse on ne saurait plaquer sur Aslan, même lorsque celui-ci devient à son tour le bourreau de petits cafards qu’il tue sur sa micro-chaise électrique, cafards qui viennent nourrir après des lézards faisant l’objet de tous ses soins.
Le synopsis nous parle déjà de cette vengeance, on ne dévoile donc rien à ce propos, si ce n’est que ces scènes de vengeance, se déroulent totalement hors champ, ce qui fait la force du film : le réalisateur n’a pas besoin de (trop) montrer la violence pour la dire.
Le cadre évolue du collège vers les administrations juridico-policières dans un continuum de violences incompréhensibles, et surtout injustifiées, et ce d’autant plus que la majorité des protagonistes sont des ados à peine sortis de l’enfance. Le film pourrait être une métaphore de l’état du Kazakhstan , dirigé de manière autoritaire par le même homme depuis son indépendance en 1991, et où Amnesty International dénonce la violence et surtout les tortures qui s’opèrent en toute impunité. La mise en scène de Baigazin est glaçante, et terriblement efficace.
Le film est beau, dans des tonalités très froides et gris de plomb qui évoquent une chape rescapée des années soviétiques. par moments, en revanche, le blanc dans le film évoque des univers un peu oniriques ( à l’hôpital, scènes de fin) pour rappeler l’ « innocence » d’Aslan, son enfance, ses frayeurs, et sa solitude.
le cadrage est au cordeau , et la photographie lumineuse. J’ai même lu que le film avait l’esthétique d’un film de festivals, mais je ne suis pas sûre que cela lui rende hommage...
le film permet une fois de plus de vérifier que l’émotion suscitée par une oeuvre est inversement proportionnelle à l’enrobage mis en place pour justement nous tirer des larmes. Ici, on est dans l’extrême épure, et du coup dans une émotion brute comme du diamant. non taillé. Un vrai bijou de film...