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Pour dépeindre cette société iranienne où l’on vivote, où trouver un travail devient une raison d’être pour sortir du marasme social, où les traditions éculées estiment la valeur d’un individu sur l’argent qu’il peut ramener à la table, où le cours du rial est dicté par les marchés à l’autre bout du monde, et où l’enfant doit être un homme pour être estimé, Saeed Roustaee choisit de dépeindre une famille morcelée au verbiage incessant, au bord de l’implosion sous la contrainte des pressions extérieures et rejetant la faute sur chacun de ses membres. Et à cette fin, il construit tout son film sur des parallélismes.
Lorsque Esmail, le père octogénaire, ment à sa progéniture et se berce d’illusion quant au statut que ses cousins veulent bien lui accorder, il ne fait que reproduire le chiqué des combats de catch et des discours de Trump qui tournent en boucle dans la pièce de vie. Pas étonnant alors que la montée des marches lors du mariage où il est enfin consacré, fantasme ultime d’une vie manipulée par un vain espoir, soit preste, d’un pas léger et enjoué. Et qu’en contrepartie, la descente se fasse du pas pesant du retour au réel, écho de la dégringolade advenue quelques jours plus tôt au domicile. C’est la porte qui se ferme sur Esmail lors de la cérémonie de fin de deuil du début, qui semble être un retour de bâton sur la porte que doit fermer Alireza sur l’amour de sa vie, interdit par son père.
Lorsque la première scène est celle d’une foule d’ouvriers manifestant, licenciés pour cause de détournement de fonds par le patron de l’entreprise, on retrouve à nouveau les mouvements de la masse lors du mariage, où on célèbre cette fois-ci un système financier corrompu. Un rappel de l’ascenseur miteux de Manouchehr, témoignant d’une vie de galérien, mis en opposition à celui luxueux de la boîte qui fonctionne sur un système d’arnaque.
C’est une cigarette qui constitue le premier plan, et une qui vient conclure le film, alors qu’un anniversaire célèbre la vie, avec au centre de la pièce, un défunt.
Des parallèles et des renvois donc, qui font tourner la machine en rond. On tombe pas plus bas que l’on était initialement, on stagne.
La femme, Leila, est la seule force d’opposition à cette stagnation, la seule piste de réflexion sur comment se sortir de cette misère, la seule volonté d’aller de l’avant. Le pilier d’une famille éclatée, perdue. Mais Leila est une femme en Iran. Son avis, aussi lucide soit-il, n’intéresse personne. On la décrédibilise par son simple statut, on l’accable de tous les maux, on lui voue des caractères diaboliques. On étouffe la lumière par l’obscurantisme. Elle est la seule à ne pas trouver son écho, son parallèle.
Comme tous les films iraniens que j’ai pu voir, Leila et ses frères utilise son récit resserré pour parler plus largement de la peine du peuple, phagocyté par un régime corrompu aux valeurs morales plus que douteuses. Mais comme ce régime ne saurait être ouvertement critiqué, on passe par des portes dérobées. Si cela passe la censure, alors on peut continuer à travailler, sinon, on s’exile pour pouvoir continuer à s’exprimer.
“Le 16 août 2023, Saeed Roustayi et Javad Norouzbeigui, le producteur du film, sont condamnés à six mois de prison par un tribunal de Téhéran qui les reconnaît coupables de « contribuer à la propagande de l'opposition contre le système islamique »” - Wikipedia