Mario Martone dépeint avec cette œuvre, l'image d'un Giacomo Leopardi avant-gardiste, un personnage byronnien semblable au héros dramatique Manfred, aux prémices d'un nouveau courant de pensée qui va restaurer la toute puissance de la réalité sentimentale, ainsi naîtra Le Romantisme. Le tragique de l’existence, la glorification du mal être, l'inguérissable douleur de cette chair putréfiée, voilà ce qui nous est raconté dans une mise en scène particulièrement obscure, où la jubilation pour l'isolement ou la castration prennent tout leur sens. On le voit dès le début avec un Leopardi absent, qui semble étranger au monde qui l'entoure, en proie à des forces mystérieuses qui semblent déjà ensevelir son esprit de sentiments vagues et insaisissables, nous sommes déjà, à ce propos, dans une forme d'irréalité.
Le film s'inscrit dans une donnée polymorphique, où les questions sur l'art, la mort, le désir s'entremêlent, fusionnent sans véritablement s'estomper. L’œuvre est marquée par le principe de réflexivité, de métadiscursivité; Martone reprend la tradition classique sous l'aspect formel, en inscrivant un sujet contemporain, mais toutefois dans ce rationalisme pictural apparent, il parvient à créer des images mentales, plus ou moins plausibles comme une vision du ciel virevoltante au début du film, la statue parlante métaphorisant la Nature, qui vont traduire l’intériorité de Leopardi. Même constat pour la fin qui a une valeur presque testamentaire, à l'image nous avons l'évocation des catastrophes géologiques, un poème culmine alors dans un généreux appel aux hommes et les invitent à s'unir contre cette nature hostile. Ce processus est similaire à celui employé par l'écrivain lui même, il apparaissait certes lié à la tradition néo-classique, influencé par les élans mythilico-historiques de Virgile ou Pétrarque, mais va remettre en question progressivement celle-ci, donnant l'idée d'une poésie comme représentation de l'âme, comme une libération d'un cœur opprimé. Ainsi donc tout au long du film, une simultanéité s'observe donc entre ce que nous voyons à l’écran et la réalité que transparaît la pensée de l'artiste. De même, les inclusions poétiques narrés par le protagoniste permettent de transfigurer la réalité, en cela la poésie doit elle être un refuge ou éclore vers la transfiguration ? Très semblablement les deux, outre l'isolement et l'érudition de Leopardi, ce lyrisme met aussi en avant un cri de désespoir qui tente de questionner le monde des hommes. Il est intéressant de remarquer la confrontation entre le corps et l'esprit, l'un qui s'effrite et l'autre qui s'anime, s’épanouit dans les méandres du pathos, en pleine modernité. Une disjonction qui était déjà visible chez les personnages antononiens qui est reprise ici de manière très virulente notamment dans l'attrait physique, mais qui prouve parfaitement que le film est aussi une œuvre sur la douleur et la maladie.
C'est aussi un film sur l'amour, le désir sauvant les visages repentis, les plus mortifères; c'est la rencontre avec le personnage d'Anna Mougalis qui va amener cela. Amour et Psyché sont donc réunis, faisant référence à la sculpture de Canova, c'est la réunification de l’âme humaine et de l'amour divin; Léopardi se fait donc le guide de l'homme, celui qui à travers ce mythe antique, est capable de mener son prochain vers une certaine transcendance ou au contraire de l'amener vers la contemplation du néant.