Au risque de déblatérer une théorie fumeuse, il est intéressant de faire un retour en arrière, précisément en 1959, et d'étudier la réception de deux productions Disney sorties durant l'année et n'ayant rien en commun: La Belle au Bois Dormant et Quelle Vie de Chien! Le premier fût un film d'animation très coûteux dans la lignée des contes de fées du studio ainsi qu'un méchant bide commercial alors que le deuxième était en images réelles, tourné en noir et blanc par manque de moyens et a pourtant été un des films les plus rentables de la période dépassant même le ratio de Ben-Hur (9 fois son budget initial)!
Si Walt Disney avait déjà annoncé plus tôt dans l'année qu'un nouveau long-métrage animé prendrait deux ans avant d'être distribué au cinéma, il serait cohérent que l'entrepreneur se soit fié aux attentes du public. La filmographie Live s'est tout logiquement redirigée vers la comédie loufoque avec de nombreux succès à la clé tandis que le département d'animation a diminué son ambition pour s'axer sur des histoires plus simples.
Celle des 101 Dalmatiens a été, à n'en pas douter, la plus accessible. Point de seconde lecture ou de décryptage, les réalisateurs s'en tiennent à leurs feuilles de papier mais nous rappellent par la même occasion combien ce n'est pas l'originalité ou la complexité du script qui compte, mais la manière de le raconter.
Le générique d'ouverture annonce déjà une oeuvre plus dans le ton des courts-métrages hors-série conçus par la boîte. S'ensuit une confession de Pongo, narrateur des 20 premières minutes, destinée au spectateur, décors aplatis, point de vue moqueur sur la relation entre le maître et le chien (celui-ci voyant l'homme comme son propre animal mais aussi son égal avec qui il partage le même toit) et ambiance assez chic en dépit du style graphique d'apparence plus cartoonesque. La parfaite rupture vient avec l'apparition de Cruella d'Enfer, démone folasse possessive, qui brise l'élégance obtenue par son hystérie et sa médisance.
Il n'est pas question de répéter ce qu'a raconté La Belle et le Clochard, Les 101 Dalmatiens est comme le film cité, une histoire de chiens et non d'humains (expliquant pourquoi la fin semble un peu vite expédiée), mais son humour est plus joueur que déjanté, il sait rester digne. Les traits comiques sont légers et n'entachent pas la menace que représentent les méchants ou la crédibilité des animaux dans la façon dont ils communiquent. Au-delà des dalmatiens, ce sont d'autres races de chiens, voire des espèces différentes, qui donnent un coup de patte à la famille, Luske, Geronimi et Reitherman font tout un éloge de cette communauté organisée et en rend chaque membre attachant par leur détermination, leur foi dans le rôle qu'ils ont à jouer.
Une bonne aventure servie par des accomplissements technologiques jamais-vus à l'époque. Grâce à l'esprit visionnaire d'Ub Iwerks, les équipes de Walt Disney ont pu tester pour la première fois la technique de la xérographie, procédé permettant de photocopier les dessins par cellulos, de quoi gagner du temps, de l'argent et de la qualité. Ainsi, la totalité des chiots peut être vue sur tout un plan. Cette méthode verra ses failles quelques années après mais ceci est une autre histoire.
Les résultats sont à la hauteur des attentes, Les 101 Dalmatiens va s'imposer comme un phénomène populaire et relancer l'adoration des gens pour les toutous tachetés. La critique, quant à elle, se montre bienveillante à son égard et salue le modernisme du film. Plus qu'un dessin animé bien pensé et exécuté, on est tenté de voir en ce Classique Disney le vrai amorçage des comédies avec Dean Jones qui emprunteront le même type d'atmosphère et d'humour à la façon de Quatre Bassets pour un Danois.