Il y a quelque chose de sérieux dans le dernier Tarantino. De trop sérieux.
Lorsque que la partition grave et sombre, s'approchant parfois de l'horrifique, de Ennio Morricone se met à sonner en ouverture et que, dans un long plan de trois bonnes minutes, la caméra de Tarantino, nous imposant son format exigeant et oublié (le 65 mm), se déplace petit à petit, laissant deviner des paysages blancs à perte de vue, on se dit que l'on ne va pas se marrer.
Et c'est tristement le cas.
La première partie, qui se vaut huis-clos exigu dans une calèche, est d'une longueur terrible qui anesthésie le spectateur pour ne le préparer aucunement aux débauches de violence (certes prévisibles, car on est dans du Tarantino) finales. Vite l'ennui nous prend.
Plus l'ennui que l'ambiance, ce que parvenait à éviter le grand Sergio Leone dans son oppressante et longue ouverture d'"Il Etait Une Fois dans l'Ouest".
N'est pas grand réalisateur de western qui veut. Et, de mon modeste point de vue, Tarantino se plante en se pensant meilleur dans ce genre. D'ailleurs, les deux westerns qu'il nous livre n'en sont pas vraiment, prouvant ainsi sa volonté paradoxale ; "Django" se faisait pamphlet contre l'esclavagisme déguisé en "Revenge Movie", ces "Huit Salopards" est plus un huis clos à la Hitchcock adaptant Agatha Christie prenant pour fond le thème du western.
Or cet aspect thriller, enquête, même policier, ce grand Cluedo ne s'entame vraiment que passées les presque 1h20 du début, d'une lenteur fatale.
L'ambiance proposée vire à l'ennui et les scènes se font très vites répétitives (les arrivées des différents personnages forcent ceux déjà présent(é)s à se représenter encore et encore et à discuter d'un passé qui n'a, au final, aucune utilité dans l'intrigue).
Si l'aisance aux dialogues habiles est facilement repérable, toujours la marque de fabrique des films de Tarantino, on ne retient rien de vraiment extraordinaire de cette bien trop longue introduction à une intrigue qui peine à tarder. Se laisse deviner le message historique et politique que Tarantino, désormais loin de ses films les plus gratuitement absurdes (Pulp Fiction, Jackie Brown, Kill Bill), aime à présent faire entendre. Relisant les heures sombres et racistes de la guerre de Sécession, le film s'aventure dans ces terrains poisseux et, lors du trajet avec le futur shérif, se fait angoissant.
Pour sûr, on ne rigole pas. Ni même de ce rire jaune qu'ne pouvait se retenir à l'ouverture magistrale d'"Inglorious Basterds", décidément bien plus western que ces "8 salopards".
L'ambiance est lourde, le rythme pesant. Si la photographie est léchée (il faut dire qu'avec de tels paysages, difficile de ne pas faire de belles images), la violence déjà insidieuse, on peine pour autant à se plaire au spectacle.


Et puis il y a l'entrée dans l'auberge, et le début de la fin.
Les comédiens entrent en scène et la porte se referme pour ne plus s'ouvrir.
Ca y est. Rien qu'avec la tête de Tim Roth, métamorphosé en dandy moustachu à l'accent délicieusement british, et le délire tournant autour de la porte qui ne ferme pas, on commence à rire.
Et le rythme progressivement s'installe.


C'est qu'il y a dans ce film un sens de la temporalité très ingénieux, quoique déroutant. Les 2 heures 47 du film semblent réellement être, renforçant l'ambiance théâtrale que l'on soulignera ci-après, celles du récit. En accumulant les petits moments d'ennui des personnages, faussement gratuits, Tarantino construit petit à petit, non sans peine pour le spectateur qui pleure le dynamisme survolté mais perdu des autres Tarantino, une véritable ambiance. Autant dans l'ambiance sonore, dans les décors sublimes qui nous font voyager sans difficulté dans cette calèche ou cette auberge perdue au milieu de la tempête de neige. On entend le feu crépiter, le parquet craquer, les volets claquer, fouettés par un blizzard dont on sent les courants d'airs froids se glissant sous une porte sommairement fermée. En cela le film, profitant de sa longueur, est un vrai voyage, et le sens des décors y est pour beaucoup. Mais là encore on y reviendra vite. Ainsi, un air détendant joué sur une guitare se fait acmé de suspens du film et une porte qui claque blague récurrente.


C'est aussi grâce à cette ambiance, en apparence calme et minimaliste, que va intervenir tout le talent des comédiens. Leurs jeux tous distincts et d'origines diverses, est ainsi une richesse pétaradante. Kurt Russel, acteur d'action oublié, Samuel L. Jackson, Tim Roth et Michael Madsen, les amis, Bruce Dern, la (vieille) surprise, ainsi que Jennifer Jason Leigh, la résurrection du film, et Walton Goggins, à l’œil délicieusement barré et au sourire carnassier. Qui eut cru qu'un tel casting eu fait autant d’étincelles ? Leurs rencontres, agrémentées par des seconds rôles très réussis, est explosive. Certes on sent bien que dans le scénario ont été aménagés des petits moments pour chacun. Tous s'éclipsent, vaquent à leurs occupations tandis que la caméra se focalise sur deux ou trois d'entre eux, réservant des dialogues anodins, aux allures ennuyeuses mais qui au plus profond sont d'une violence suspecieuse. Si se sont évidemment Samuel L. Jackson (très connoté héros du film) et Walton Goggins qui ressortent du film (et de l'intrigue), on n'oubliera pas la prestation horriblement malsaine et psychopathe de Jennifer Jason Leigh dont ce rôle est évidemment la consécration, rappelant la bizarrement barrée Amanda Plummer de "Pulp Fiction".
Mais sans les décors, décidément la véritable réussite du film, les personnages que tous incarnent ne seront pas si bien définis. Car l'immense réussite esthétique du film de Tarantino, outre sa large et belle photographie (Robert Richardson) qui, bercée par une superbe mise en lumière, alterne entre plans (très) larges et gros plans étroits, c'est son décor qui transforme cette petite auberge en théâtre d'événements sanglants.


On est la face à une pièce. Dans tous les sens du mot.
Une seule pièce, dont, par son ingénieuse caméra, Tarantino distingue différents lieux, et, à l'échelle d'un seul bâtiment, parvient à y transposer tous les lieux du western.
On a le salon où, avachis dans des fauteuils et enroulés dans des peaux de bisons les personnages tentent de se réchauffer et où tous les dialogues tendus s'y jouent, notamment un monologue de Samuel L. Jackson, mémorable, dont l'issue trop bizarre pèche un peu, le bar où les cow-boys se retrouvent autour d'un verre, la cuisine, le lit et enfin la chaise et la table, au coin de la pièce où rédige ses pensées le personnage de Madsen. Ces différents lieux dans un même lieu confirment l'aspect poupées-russes du film que l'on retrouve dans une intrigue aux tiroirs et pistes et multiples, sorte de Cluedo vivant complexe et insoupçonné. Ce clivage, cette division du territoire est aussi clairement énoncée dans l'intrigue lorsque le bourreau - Tim Roth - propose une séparation en deux camps distincts, où seule une table commune servirait de no mans land.
Une pièce aussi dans son sens théâtral.
Par un sens du décor, on l'a dit.
Par un sens de la temporalité, on l'a aussi dit, Tarantino ne se permettant qu'un unique flash-back très réussi.
Par un sens du huis-clos, de fait originellement théâtral.
Et enfin par un sens du coup de théâtre. Si l'intrigue est très romanesque, rappellent les livres policiers noirs d'Agatha Christie, explosent ci et là des coups de théâtre qu'un suspens insoutenable précède.
Notamment par une trappe secrète qui aura dans le film une résonance importante et qui rappelle le procédé très théâtral de disparition et l'élément scénique.
Mais Ces trop rares explosions, autant de violence que d'humour, viennent trop tard.
Certes Tarantino nous offre un avant goût de cette violence ironique par un flash-back ultra maîtrisé et à l'ambiance poisseuse qui fera date, non sans rapport avec l'ouverture d'Inglorious Basterds évoquée plus haut. Mais cette explosion de violence, Tarantino la veut libératrice.
Pour notre plus grand bien. On retrouve ici le délire ultra gore et ahurissant du final du 1er volet de Kill Bill. Les têtes explosent comme des pastèques, les balles fusent et pénètrent toutes les parties du corps, les tripes se vident par la bouche. On est pas loin à certains moments, osés, d'une comédie horrifique volontairement gore. Mais ce gore est intelligent. Car s'il aurait pu certes être évité, n'étant au final qu'un délicieux caprice jubilatoire qui fait beaucoup rire, il est accompagné cependant d'un traitement de la souffrance particulier, que Tarantino n'a jamais délaissé de sa filmographie.
Cela commence dés la première partie du film, dans la calèche, lorsque, dans une scène tout aussi drôle que déstabilisante, le personnage de Russel casse, de son coude, le nez de sa prisonnière, Jason Leigh. Ici la souffrance est magiquement ressentie chez le spectateur. Et l'on souffre plus à ce moment que lorsque les fusillades font exposer les cervelles et les entrailles.


On rigole donc, on s'amuse. Mais c'est outrepassées les presque deux heures d'ennui qui précèdent et qui contrecarrent avec un final ironique et brutal, que l'on aurait aimé moi mystérieux quant au destin des survivants de cette immonde mais jubilatoire boucherie.

Charles Dubois

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