Dès les premiers plans est représentée la tension entre le céleste et le terrestre, par la statue de l'ange de la Siegessäule et l'avion qu'abrite le ciel berlinois. Ce film fait descendre les anges sur Terre, à la recherche du vivant. Ce film fait s'élever les êtres humains à un existentiel réjouissant.
La frontière entre l'humain et le transcendant, le fini et l'éternel, le doute et le savoir catégorique est omniprésente. Quel décor aurait été plus juste que celui de Berlin? Une ville marquée par le temps, avec la Gedächtniskirche ou la Anhalter Bahnhof, une gare où littéralement la gare s'est arrêtée. Une ville qui recueille les artistes étrangers : la trapéziste française Marion et le réalisateur américain Colombo.
Le film a un ton proprement camusien, dont le nom est évoqué à environ un quart du film, par un homme venant, allusion non anodine, d'avoir un accident de moto. Il aborde la question du suicide, qui arrive une fois comme l'échec des anges. Il s'agit bien pour Marion d'échapper à la chute, de trouver l'équilibre dans son exercice de voltige. Il s'agit bien pour Colombo de trouver à ses figurants une justesse dans leur rôle, afin qu'ils y trouvent leur propre mesure.
Le monde artistique - le cinéma, le cirque, la littérature consommée dans la Staatsbibliothek, la poésie chantonnée régulièrement par un narrateur omniscient - est exalté. Parce que l'homme se fait artiste afin de s'accorder avec le monde. C'est l'art qui permet d'enchanter le monde, de s'étonner et de nous questionner sur l'altérité, à la manière des enfants. Cette clairvoyance de l'enfance ouvre le film et le rythme sur l'air du poème "Chanson de l'enfance / Lied vom Kindsein" de Peter Handke. Les enfants prennent une place particulière, eux qui peuvent voir les anges, au contraire du reste des hommes.
Enfin, la forme sert le fond. D'une part, grâce aux plans, alternativement éthérés et lourds, qui nous font survoler puis plonger dans le quotidien de l'humain. Ils nous donnent en quelque sorte des ailes, pour reprendre le titre français du film. D'autre part, la couleur, utilisée avec parcimonie, est comme la réconciliation progressive, par touche, de nos désirs avec le monde. Cet appel au sens fait écho aux "Noces" écrites par Camus, celles entre la nature méditerranéenne et nous-même, ici avec la ville de Berlin. Cette réconciliation jusquauboutiste va même jusqu'à l'attrait des anges pour ce monde mortel, charnel et sensuel. Et goûter, voir le rouge de son sang apparaît comme le sel de la vie.
Wim Wenders signe un film existentiel, transcendant et transnational qui bouscule les genres artistiques. Un film qui réhabilite la chute de l'Ange et vient la célébrer.