J'ai les sens en alerte en rentrant dans la salle qui projette Les Amandiers. Le film dépeint la jeunesse de la réalisatrice lors de son entrée dans la prestigieux école théâtrale de Nanterre, ce qui allait me replonger dans mes propres souvenirs. Moi-même il y a 10 ans, je me faufilais dans un institut d'art dramatique renommé de Belgique. J'avais peur du film du film de Valeria Bruni Tedeschi, mélange entre la crainte de la comparaison, crainte de retrouver ce qui m'a dégoûté, regretter ce que j'ai tant aimé. J'avais peur de jalouser le film. Étrange première.
Pour se planter
Le film démarre sur le pire merci jamais infligé, celui de l'enseignant qui coupe en plein élan une scène d'examen d'entrée de deux aspirants. Cet impitoyable dispositif est parfaitement pastiché, les jeunes acteurs qui donnent tout et trop, le rire de certains profs et l'agacement d'autres, les coulisses où les jeunes entassés gèrent leur stress par un excès de confiance, un silence traumatique ou avec leur walkman (et oui on est dans les années 80). Ces scènes d'examen en deviennent drôles et touchantes quand les candidats en viennent à la question inévitable "pourquoi vouloir faire du théâtre ?". Pour moi, pour quelqu'un d'autre, parce que je ne sais rien faire d'autre.
Le film démarre par son atout : ces portraits sensibles de jeunes adultes paumés ou non, qui hurle en voyant leur nom sur la liste des inscrits, sobrement scotché sur la porte de l'établissement.
Pour réparer les vivants
Les Amandiers n'est pas le portrait de Chéreau (comme sa bande-annonce le suggérait) mais celui de sa réalisatrice et de ses camarades de promotions, tous chargés en phéromones qui démarrent des amitiés et des flirts. Oui le cliché est réel et le film le montre bien, les écoles d'art dramatique sont souvent le théâtre de polissonneries et gauloiseries diverses. En gros tout le monde envisage de baiser avec tout le monde. Dans le film notre héroïne Stella, joué par Nadia Tereszkiewicz, s'entiche surtout d'Etienne (Sofiane Bennacer) jeune acteur héroïnomane ténébreux. Un histoire d'amour un peu stéréotypé d'une jeune fille prise d'un syndrome du sauveur face à garçon insaisissable. C'est le principal défaut du film, cette histoire-là n'est pas intéressante tant elle semble convenue (et finit comme prévue). Elle est très peu illustrée autrement à l'écran que par un langage des corps dans des scènes pas peu inspirées (du sexe dans un confessionnal étant la scène la plus originale, sans l'être). On ne saura jamais vraiment ce qui les rend follement amoureux ni l'un ni l'autre, car on ne les verra jamais vraiment se regarder ou se parler. La caméra s'attarde sur les pétages de câble de l'homme se détruisant face à la détresse, l'aveuglement de la femme en pleurs. Cependant malgré ce sentiment de lourdeur dans cette histoire d'amour (La grimace de bad boy permanente d'Étienne n'aide pas), Stella me touche et je ne l'explique que par la force du jeu de sa comédienne aux yeux ronds, qui même dans la redite me charme. C'est le cas aussi des nombreux autres personnages du film, tous beaux face au tragique.
Pour briller
Chéreau via Garrel, représenté un peu borderline, respecté malgré un caractère de cochon, des paroles et des actes déplacés, illustre parfaitement cette figure étrange qu'est le professeur ("Je ne suis pas votre professeur") d'art dramatique face à son étudiant. À la fois maître, idole, fantasme; s'en rapprocher vous rapproche de votre objectif, car il est celui qui vous met en scène dans l'enceinte de l'école et potentiellement en dehors. On lui pardonne la colère et même la cruauté comme lorsqu'il évince une comédienne (Anaïs) de sa mise en scène devant tout le monde. Personne ne réagit. L'examen ne s'est jamais vraiment terminé. Valeria Bruni-Tedeschi évoque parfaitement à cet instant ce climat de compétition permanente qui sous-tend cette drôle de communauté. Louis Garrel s'amuse en ombre marionnettiste et son duo good cop bad cop avec Micha Lescot (en Pierre Romans) fonctionne assez bien, ridicule et drôle.
Pour parler avec les mots des autres
Le théâtre est finalement assez discret dans le film, et ses apparitions se limitent à des plans larges d'une mise en scène de Platonov (plutôt conventionnelle) et quelques exercices d'échauffements et d'italiennes. Et en même temps, est-ce que j'avais vraiment envie d'en voir plus ? Finalement je serai bien resté un peu plus longtemps avec les personnages secondaires du film. Ils ont quasiment tous leur morceaux de bravoure dans l'histoire, d'autres plus anecdotiques que certains, mais ils tous sont joliment introduits et joués. Dommage que quand vient la dernière demi-heure du film, que la caméra s'éloigne et filme montre le plateau et ces 12 comédien.nes en costumes, je ne peux pas m'empêcher d'en confondre certains, de remarquer que d'autres ont disparus du récit. C'est notamment le cas du personnage d'Adèle jouée par Clara Bretheau, grande gueule rousse magnétique qui pimentait la bourgeoise Stella. Curieusement son personnage très important au début du film disparait dans le silence au profit de la romance principale. Moi elle me manque.
Au final, le film est très juste régulièrement, il aime la jeunesse et ses corps. Sa trame principale n'est pas sa force mais bien ses tragédiens qui s'y rattachent : ces jeunes acteurs dans la fiction et dans le réel qui promettent. Qui me font du bien et revivre mes bouillonnantes années en école d'art dramatique.