La déchéance d'un artiste.

Le film reprend la dernière année d'existence d'Amedeo Modigliani, lequel décèdera tout début 1920. 1919 est l'année après la première guerre, une époque bouillonnante pour la culture, surtout les artistes, et Modigliani n'arrive pas à vendre ses dessins, ce qui le plonge dans une terrible dépression qu'il comble avec la boisson, au grand dam de son amour, la jeune Jeanne Hébuterne.

Au départ, Montparnasse 19 était un film de Max Ophuls, lequel décèdera peu de temps avant le tournage, ayant déjà le scénario et les acteurs. Peu avant, il a demandé à Jacques Becker de reprendre le film, ce qu'il fera au prix de modifications du scénario et une brouille terrible avec Henri Jeanson, lequel dénonça publiquement cette dernière volonté bafouée.
Mais il n'empêche, malgré une genèse compliquée, Becker en a tiré quelque chose d'admirable, qui est comme imprégné par une atmosphère morbide, celle transportée par Modigliani, qui semble pressentir sa fin prochaine, alors qu'il s'enfonce dans la boisson. Gérard Philipe joue extrêmement bien cette fièvre qui parcourt le peintre, quoiqu'il semble parfois en faire beaucoup notamment quand il est censé être ivre. On retrouve aussi la déjà très belle Anouk Aimée, qui joue Jeanne Hébuterne est qui est comme un garde fou, mais c'est malheureusement peine perdue.
On retrouve aussi Gérard Séty, dans le rôle du marchand d'art et seul véritable ami de Modigliani, mais surtout Lino Ventura, dans un rôle semble-t-il inventé, celui d'un autre marchand, mais qui intéresse le peintre pour un but beaucoup plus morbide.

En effet, persuadé du talent de Modi, et voyant sa santé décliner, il se doute qu'à sa mort, ses toiles qui ne valent rien de son vivant vont s'arracher dès sa disparition. Il va exploiter, silencieusement, la fin tragique du peintre de la pire des façons. Il est à noter que ça sera le seul rôle antipathique de Lino Ventura, qu'on ne peut sauver en aucune façon, et cette noirceur lui va si bien. Ce que l'acteur ne fera jamais plus, par respect à son épouse et ses enfants, et ne pas leur montrer une image négative.

C'est souvent d'une grande tristesse, également due à l'image noir et blanc, même désespérément quand Modi va vouloir vendre ses dessins une broutille à des clients d'un café pas seulement pour gagner un sou, mais aussi pour se prouver qu'il est un artiste. Ce qui sera unanimement reconnu, mais pas de son vivant...
Montparnasse 19 sera l'avant-dernier film de Jacques Becker, élaboré dans des conditions difficiles, mais qui montre bien à quel être artiste peut être une douleur en soi, jusqu'à en mourir.