Plus de 15 ans avant Holy Motors où Denis Lavant déambulera dans la Samaritaine à l’abandon, il dort sur le Pont-Neuf illuminé par la façade encore bien vivante du centre commercial historique de Paris.
J’ai lu quelque part que Les Amants du Pont-Neuf était un « drame misérabiliste ». Je trouve ça tellement hautain, cette façon de penser que les clodos ne pourraient pas eux aussi avoir droit à leur beau drame romantique. Le réalisme déchirant du film (tel le passage où les SDF sont ramassés par des bus de misère et où leurs corps nus et décharnés s’exposent sans plus de pudeur au moment de la douche) est contrebalancé par des moments de pure grâce ; ce n’est pas un film qui se complaît dans la tragédie.
Certains plans, comme ce feu d’artifice du 14 juillet donnant des ardeurs théâtrales à nos deux amants, et l’hallucinante partie de jet ski sur la Seine qui s’en suit, sont tout simplement inoubliables et représentent des prouesses en eux-mêmes.
Grâce à la rétrospective qu’Arte consacre à Leos Carax j’ai pu découvrir à la fois le réalisateur et son acteur fétiche. Cet acteur me fascine. Son visage extraterrestre, ses muscles animaux, son jeu si humain me fascinent. Lavant bête de cirque, cracheur de feu, freaks enchanteur, incarne à merveille ce personnage à la frontière de la société, sans domicile autre que d’aléatoires monuments parisiens, sans autre compagnon qu’un vieil homme aux poches lourdes de clefs.
Les Amants du Pont-Neuf sera aussi le film qui aura réhabilité à mes yeux Juliette Binoche, après le désastre du film Le Chocolat avec Johnny Depp. Même grimée avec des faux yeux globuleux et sanglants, filmée dans des plans maladroits, jouant des dialogues moyens, elle reste juste.
Alors bien sûr ce film est imparfait. Mais il s’en dégage une poésie étrange, faite d’affiches en flammes dans les couloirs du métro, de tableaux de musée éclairés à la bougie, et d’ultime course sur une péniche voguant vers le Havre.
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