Une chose frappante, déjà, du film : Garrel semble se refuser à filmer quelque chose qui nourrirait un quelconque récit, se situant toujours avant ou après l'action, jamais pendant ; avant ou après le noyau de la scène. De là vient ce ton étrange et singulier du film, cette atmosphère de crépuscule ou d'élan manqué, d'amour et d'espoir déçu. Garrel vient toujours capter ce qui déborderait de tous les autres films, cet instant où la scène piétine et se transforme en stase, en rêverie inracontable, où le visage perdu raconte sa propre histoire. Son cinéma ne se confronte jamais frontalement à son sujet, il est toujours à côté, à observer ce qui s'en échappe. Cela offre au film de très belles échappées, suspendues dans le vide.
Dans le titre du film, il y a bien sûr "Les amants", mais il y a aussi ce "réguliers" qui intrigue. Comme si Garrel avait annoncé le programme de son film dès son titre. "Régulier", c'est quelque chose qui s'installe sur la durée, se déploie au fil des minutes, au fil des heures qui s'écoulent. A travers ce film, Garrel teste la durée, mais ne retient rien d'autre de ce conte d'une époque que le murmure de l'intime. On se croirait devant une fresque, Garrel y préférerait filmer longtemps le visage d'une jeune fille qui tombe amoureuse. Mais malgré cette audace, toute personnelle, mon sentiment reste mitigé. Le film possède bien des éclats, bien des fulgurances. "Les amants", première partie du titre, est un film réussi. C'est le "Réguliers" qui fonctionne moins. Dans sa confiance en la durée et son refus à se confronter aux scènes, le film n'évite ni la pose ni les lieux communs. Je me suis même demandé ce que le cinéaste cherchait à filmer quelques fois, et pourquoi avait-il besoin de tant de temps pour cela. En réalité, je trouve le film trop imperturbable, trop installé, trop immobile, très monolithique, de plus en plus loin du réel, de plus en plus loin de la vie, ne résistant pas toujours à l'écoulement des minutes. Plus court, plus étoffé, le film aurait eu plus de force. Reste des éclats, des visages, des images, où soudain le film brûle. Mais il faut attendre, une heure, deux heures (la dernière étant la plus belle du film) ; et cette attente n'est pas des plus passionnantes.