Il y a dans Les Âmes propres une maîtrise graphique indéniable : que ce soient la photographie très portée sur les couleurs délavées, les cadres étouffants, ou le jeu habile sur les flous qui semble isoler en permanence les deux protagonistes du monde qui les entoure (un monde qui ne les comprend pas et auquel elles refusent d'appartenir)... Anja Kreis parvient avec brio à distiller au sein d'une mise en scène précise et chirurgicale une étrangeté diffuse, la sensation que quelque chose échappe continuellement aux personnages. On pense bien évidemment à David Lynch, d'autant que les deux héroïnes, l'une blonde et l'autre brune, sont visiblement un clin d’œil assumé à celles de Mulholland Drive.


Varvara, la blonde, est professeure de philosophie au lycée, spécialisée dans le concept nietzschéen de la mort de Dieu. Après avoir recalé à l'examen final un de ses élèves, elle se voit harcelé par ce dernier, bien décidé à obtenir la mention qui lui permettra de décrocher sa bourse d'études et, au passage, à lui prouver l'existence du divin. Angelica, la brune, est une gynécologue renommée, pratiquant l'avortement à ses heures perdues. La venue dans son cabinet d'une patiente persuadée d'être enceinte de l'Antéchrist va déclencher une réaction en chaîne incontrôlable et ramener de vieux secrets à la surface. De prime abord froides, cyniques et antipathiques, on comprend rapidement que leur attitude résulte avant tout de leur difficulté à exister au milieu de collègues tous plus obtus et idiots les uns que les autres, et par extension, au sein d'une communauté profondément bigote et intolérante, dont l'attachement excessif aux vieilles traditions religieuses l'empêche de s'ouvrir au monde extérieur (symbolisé très littéralement par l'opposition du prêtre de la ville, plus proche de l'idiot du village que du conseiller spirituel, au projet de construction d'une autoroute à proximité).


Tous ces éléments orientent le long-métrage vers une allégorie cinglante de la société russe contemporaine. Mais au fur et à mesure que les scènes défilent, un sentiment de perplexité s'installe en nous : on commence à se demander où le film veut vraiment en venir et comment la réalisatrice va bien pouvoir boucler les nombreuses sous-intrigues qu'elle ne cesse d'essaimer au fil du temps. Et soudain, sans prévenir... écran noir et début du générique. Fin ouverte ? Dénouement abrupte afin de conserver le côté cryptique de l’œuvre ? Au vu des mines confuses et des rires gênés à l'issue de la projection, le sentiment dominant semble plutôt être celui du pur foutage de gueule.

Little-John
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