La chair est triste, hélas, et j’ai vu tous les films
Le deuxième film de Dolan peut assez facilement être descendu. Il a les maladresses de ses audaces, une tendance à surligner certains effets qui peut s’avérer irritante : les filtres, les zooms brutaux, les mouvements de caméra trop explicites (la descente régulière vers les mains, le sac…). De la même façon, les citations permanentes du cinéphile juvénile peuvent confiner à l’overdose : les ralentis de Won-Kar Wai, les couleurs d’Almodovar, la BO de Tarantino, les intrigues d’Honoré. Une séquence emblématique, celle de la danse en soirée sur The Knife, absolument sublime, est sacrément gâchée lorsque Dolan superpose des images de statue antique à son personnage pour souligner ce qu’on avait déjà compris, et qui se suffisait amplement.
C’est pourtant cette accumulation qui fait la force de son film. Décomplexé, de son époque, digestion de sa propre culture au profit d’un récit dont il sait qu’il est éculé, Dolan se promène et donne chair à ses pauvres petits personnages, arrivés trop tard dans l’histoire de l’humanité pour pouvoir prétendre à l’originalité. L’idée des témoignages sous forme d’interview qui ponctuent le film confirme cette lucidité : tout le monde se laisse prendre au piège de l’amour, et ces confessions désespérées s’épaississent au fil des occurrences, très bien écrites, contrepoints sobres et intenses au lyrisme du récit central.
Mais ce lyrisme serait dénué de toute se force s’il n’était mêlé à d’autres registres qui constellent la complexité des rapports amoureux et des comportements : souvent cruellement drôles, les personnages ne s’épargnent pas, entre eux ou vis-à-vis d’eux-mêmes, s’insultant (le génial « Conne ! » que se lance Marie face à un miroir), s’embourbant dans leurs stratégies vaines et transparentes, marivaudages 2.0 foireux et attendrissants.
Reste donc l’imaginaire : celui des personnages, risible, générateur de scenarii pathétiques, et celui du réalisateur, prolixe et bigarré, qui séduit. De même qu’on continuera de s’imaginer nos amours pour les magnifier, quitte à en décupler la souffrance, les artistes poursuivront leur exploration de cette superbe fragilité humaine.
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