À Hong Kong, un tueur à gages désillusionné s'apprête à remplir son dernier contrat, mais il doit d'abord surmonter l'affection de sa partenaire, partenaire qu’il ne voit jamais. Dans une errance nocturne sordide et surréaliste, il croise le chemin d'une fille excentrique et d'un muet qui essaie sans arrêt d'attirer l'attention sur lui.
Sorti 1 an après Chungking Express, Les Anges Déchus était à la base la troisième histoire du film. Mais Wong Kar-wai trouvant le script trop lourd, il décida de séparer la dernière histoire et d’en faire un film entier, grand bien lui en a pris. Car Les Anges Déchus est à la fois identique à Chungking Express mais à la fois totalement différent. En revanche, on est clairement sur 2 œuvres totalement marquantes. Cela aurait donc été dommage de tout regrouper en 1.
Les Anges Déchus est un film qui ne peut laisser indifférent. C'est un cinéma qui, obligatoirement, provoque. L'ennui pour certains, tout le monde ne pouvant pas adhérer, forcément. La fascination, indéniablement, pour les autres. Fascination devant une œuvre qui emploie à merveille la grammaire cinématographique, multipliant à l’infini ses effets pour créer un objet d'une époustouflante intelligence. La mise en scène traduit en permanence l'état d'esprit des personnages du film. Et comme si cela ne suffisait pas, elle atteint également les sommets en matière d’esthétisme.
Le réalisateur Hongkongais met sa science du rythme au service du film. Le montage est d’une virtuosité incroyable. Tout va très vite tout en étant également parfaitement millimétré. Il n’hésite pas à couper le tempo en ajoutant ici et là des ralentis ou des accélérations de temps.
On peut rajouter à cela, comme pour Chungking Express, une utilisation grandiose de la musique, qui donne le ton aux images. J’ai rarement vu une B.O autant en harmonie avec la mise en scène.
C’est avec tout cela que le film fait ressentir profondément les choses et crée une atmosphère particulière, onirique. J’adore cet univers nocturne urbain que crée WKW.
Dans cet immense film choral, les différents protagonistes déambulent, de façon décalée, dans cette gigantesque ville urbaine, à la fois libre et prisonnier entre ces murs. A l’inverse de Chungking Express, ici les personnages se croisent, dans le récit ou tout simplement dans le montage. Ils vivent de rencontres insolites, de relations décalées.
Mais ils partagent tous le même état d’esprit, la solitude… On est ici loin des contes de fée. On est dans une vraie tragédie dans temps modernes où la solitude et la misère affective sont les points centraux de ce film. Peu importe les amours passant, l'individu reste au fond de lui seul face à une société renfermée sur elle-même.
C’est à l’image du personnage muet de Takeshi Kineshiro, totalement désœuvré. Bien que muet, c’est le personnage qui parle le plus de tout le film, bien qu’il s’agît d’une voix off. D’ailleurs la plupart des dialogues du film sont en voix off, les protagonistes préférant parler à eux-mêmes qu’aux autres, soulignant une fois de plus cette solitude.
Mais derrière tout cela, les personnages sont filmés avec une certaine élégance, comme ces deux séquences fantastiques de masturbation de la partenaire du tueur en série. Wong Kar-Waï atteint ici un sommet d'érotisme en passant par une voie fétichiste plutôt que par une vulgarité toute pornographique, suggérant plutôt qu'en abusant de l'image. Je rajouterai également que les scènes entre Kaneshiro et son père m'ont pour la plupart bouleversé et que les fusillades sont d'une incroyable beauté. Les Anges Déchus n'est pas un film monotone, c’est comme un tourbillon où tout se télescope.
Il faut aussi parler de Hong Kong qui est également un personnage à part entière. Filmé uniquement de nuit, éclairé par ses néons, WKW réussi à merveille à nous imprégner de cette ville, à nous faire ressortir le côté « enfermement » vécu par les personnages. Enseigne lumineuse, des marques absolument partout, des bus délavés, des snacks à tous les coins de rues, etc. Il y'a quelque chose de typiquement 90's là-dedans. Et ça me plaît énormément. Hong Kong, j’aimerais tant te rencontrer un jour.
Avec WKW, j'ai l'impression de découvrir un réalisateur qui m'offre des émotions et des choses qui lui sont exclusives, qui m'affecte très personnellement et aussi profondément. C'est simple, son cinéma est parmi les plus addictifs et les plus accrocheurs qu'il m'ait été donné de vivre. Je pense que ce qui le rend unique, c'est qu'au sein de son cinéma, il y a tout ce qui fait le cinéma hongkongais : il y a l'hystérie, la générosité, le rythme, les esthétiques ultra-prononcées, le mouvement… Et en même temps, toutes ces choses-là sont traitées de manière extrêmement différente que dans la plupart des films locaux de l'époque.
Wong Kar-wai, je t’admire, sache-le.