En cinéma, les moyens ne remplacent pas le talent. Il se trouve que j’ai vu Les anges du pêché le lendemain des Frères Sisters de Jacques Audiard. Les deux films n’ont rien de commun, mais je ne peux que constater que l’oeuvre de Bresson, avec une quinzaine de noms au générique, me touche beaucoup plus que celui d’Audiard avec ses centaines de noms...
Le tout premier film de Bresson me réconcilie avec le monstre sacré, après les décevants Pickpocket (vraiment trop mal joué) et surtout Journal d’un curé de campagne (manquant d’intensité). Il regorge de beauté, même si quelques maladresses sont à déplorer çà et là. Allez, commençons par elles : la musique qui souligne de façon ostentatoire les moments « d’émotion » (erreur de jeunesse, que Bresson ne commet plus ensuite) ; et un problème de crédibilité sur la fin (Anne-Marie agonisante a le teint frais et semble en pleine forme : impossible de comprendre qu’elle soit subitement condamnée !).
Tout le reste est passionnant : la forme d’abord, avec l’omniprésence de barreaux et fenêtres, en réel ou en ombre, en premier ou en arrière plan. Le couvent répond à la prison, tout est enfermement, même si l’un est froid comme l’Etat, l’autre tout d’amour. A noter aussi beaucoup de plans bien construits, comme ceux en surplomb dans la grande salle du couvent.
Le fond ensuite : Les Anges du péché, c’est la confrontation de trois femmes.
Il y a d’abord l’ange, Anne-Marie. Exaltée, entière, sans concessions. Elle représente la foi pure, celle des mystiques. Son regard est irradiant. Elle se sent appelée et n’a qu’un désir : réaliser sa vocation. Elle n’écoute que cette voix qui lui parle et refuse de se plier aux règles de la société - ici celles du couvent. « Son royaume n’est pas de ce monde » et, en effet, elle n’y survivra pas.
Il y a ensuite le péché, Thérèse, celle qu’Anne-Marie s’est donnée pour mission de sauver, fut-ce contre son gré. Un péché en forme d’engrenage, qui a entraîné malgré elle cette femme. Elle est mystérieuse, son regard est dur. Aucune communication possible entre l’ange et le péché. De ce point de vue, le film, à l’opposé de la vision naïve d’Anne-Marie, est totalement pessimiste.
Il y a enfin, au milieu, la religion, incarnée par la Mère Prieure (on notera au passage que le catholicisme fait si peu de place aux femmes qu’il trouve moyen d’inventer ce néologisme dès qu’il faut nommer une femme haut placée). Saluons la vision équilibrée de Bresson : si certains aspects de la religion sont critiqués (l’hypocrisie chez les sœurs, le poids de certaines règles absurdes, mais surtout l’incapacité à intégrer la véritable foi), d’autres sont mis en valeur : la mère Prieure fait preuve d’une grande sagesse et d’une belle humanité.
Le film fait ainsi le constat d’un double échec :
- l’échec de la foi à sauver celle qui ne le demande pas (rappelons-nous la première phrase de Jésus, avant de faire quoi que ce soit : « veux-tu être sauvé ? ») ;
- et l’échec de la religion à composer avec la foi pure (notons que la plupart des mystiques furent rejetés, voire persécutés par l’Eglise).
Passionnant... pour qui se sent concerné par ces sujets ! Cf. le livre magnifique de Simone Weil, "la Pesanteur et la Grâce", qui fait écho au film.