J.K. Rowling, qui se heurte plus que personne à l'impossibilité empirique de se réinventer après le succès écrasant d'Harry Potter, se devait, pour la postérité, de laver sa réputation de l'infamante pièce de théâtre Harry Potter et l'enfant maudit. Inutile de dire qu'à ce titre, Les Animaux Fantastiques était attendu au tournant, et ce malgré sa parenté mercantile avec une autre sous-saga de triste mémoire, Le Hobbit. C'est donc Fantastic Beasts and Where to Find Them, petit (très petit, moins de 100 pages) manuel de zoologie magique à destination des enfants qui devient non pas un film, mais cinq (!), sous la houlette de l'auteur elle-même, qui signe avec Les Animaux Fantastiques son premier scénario original. On y retrouve Norbert Dragonneau, auteur fictif du manuel en question, qui libère par mégarde ses créatures magiques dans le New York de l'entre deux guerres à la suite de sa rencontre malencontreuse avec Jacob Kowalski, un moldu, ou un non-maj', en fonction du côté de l'Atlantique d'où vous venez.
La péripétie, plutôt balourde à l'écran, sert avant tout de prétexte à un lifting bienvenu de l'univers d'Harry Potter. Si, dans La Coupe de feu, Poudlard invitait les sorciers du monde entier à participer à ses Jeux Olympiques maison, rares étaient les occasions de quitter les murs de la célèbre institution, les huit films nous baladant inlassablement de lieu familier en lieu familier (Poudlard, le chemin de traverse, Piccadilly Circus, Gringotts, véritable chemin de croix touristique de la saga). Avec Les Animaux Fantastiques, J.K. Rowling tire un trait sur les vielles pierres et se délocalise aux États-Unis, qu'elle visite avec l'œil revigorant de son héros déraciné. Fait rare, le film trouve l'équilibre idéal entre rafraîchissement du papier-peint et nostalgie, ne sacrifiant jamais l'un à l'autre, et sans conteste, Les Animaux Fantastiques ne sonne pas tant comme une redite ou une répétition des précédents Harry Potter que comme une variation grandiloquente de L'École des sorciers, qui savait générer la même excitation face à l'inconnu. L'incursion des animaux fantastiques éponymes y est pour beaucoup : assez éloignés du dispositif supernaturel classique de l'univers de J.K. Rowling, ils en renouvellent à eux-seuls la mythologie, et qu'importe à ce titre que leur dispersion dans New York paraisse par instants purement artificielle.
Ce ne sont de toute façon pas les animaux fantastiques, que Dragonneau chasse inlassablement de par les rues comme autant d'objets de quête à réunir mécaniquement, qui posent problème. Le problème des Animaux Fantastiques, c'est justement qu'il ne se contente pas de parler d'animaux fantastiques. Signe des temps, le scénario se disperse en pistes et personnages inutiles, plantés là comme autant de plantes vertes destinées à nourrir de leur chair à canon les multiples twists foireux du film, qui se rêve évocateur, engagé et politique, mais qui resté cantonné à une poignée de ficelles grasses mal dissimulées dans ses décors de carton pâte. On aura ainsi tôt fait de qualifier Les Animaux Fantastiques de film "post-11 septembre", comme l'ont fait Le Monde et Télérama dans des critiques qui s'apparentent à des brèves de comptoir excitées, tant le film remplit surtout le cahier des charges du destruction porn, se vautrant allégement dans la débauche de ses propres effets et les images de désolation iconiques qu'ils génèrent. Il n'est jamais question de traumatisme ou de résilience ; J.K. Rowling, qui n'a de politique que son compte Twitter, leur substitue l'amnésie et un sort vite exécuté, "réparo", en réponse à tous les maux. Avec toute l'obscénité caractéristique du cinéma américain, Les Animaux Fantastiques, reniant ses racines britanniques, se repaît de l'image choc d'une ville de fer et de gravats, matrice de synthèse destructible à l'envi.
Cette inconséquence se retrouve à tous les niveaux du scénario, qui tente un semblant d'allégorie sociale light, façon X-Men, avant de sombrer dans l'embarras le plus total de multiples volte-face ridicules, tous résumés par l'improbable déguisement steampunk du grand méchant, croisement, il fallait oser, entre Bernie Sanders, Jul et Adolf Hitler. L'ineptie politique des Animaux Fantastiques inquiète d'autant plus qu'elle est turgescente : on y traite la maltraitance des enfants comme motif romantique, on y associe les protagonistes par paires sentimentales probables (peu importe que l'alchimie entre Eddie Redmayne et Katherine Waterston soit proche du néant), bref, on tricote un blockbuster conventionnel et conservateur sur une trame pourtant vierge. Et ce ne sont pas les quelques signes extérieurs de richesse des Animaux Fantastiques qui sauvent la donne, puisqu'entre sa mise en scène paresseuse, encore une fois l'œuvre du tâcheron David Yates, son retard technique parfois accablant, à peine dissimulé par un montage inexplicablement bâclé, et ses interprètes très en retrait, le long-métrage cumule trop de tares évidentes pour concurrencer le fleuron du cinéma de divertissement sur son terrain de prédilection : l'image impossible. C'est en constatant les origamis fous que fait Doctor Strange du même décor (au demeurant tout aussi malmené politiquement) qu'on prend la mesure de la ringardise des Animaux Fantastiques face à sa concurrence directe. Et malheureusement, toutes les bonnes intentions du monde ne peuvent se substituer à une vision de cinéma.