Londres, 1946. Dans un salon huppé de la capitale britannique, l’on discute de la curiosité du moment : les oreilles percées du très digne major général Ralph Denistoun. Ses compatriotes, retenus par leur politesse proverbiale, ou l’aura légendaire qui entoure l’ancien militaire – héros de guerre – n’osent lui en toucher mot. Fort heureusement, l’intervention du yankee Quentin Reynolds (qui joue son propre rôle), nettement moins guindé, va permettre – enfin ! – de lever le mystère.
Tout a commencé quelques années plus tôt, avant le début de la guerre. Denistoun et un jeune homme, Byrd, étaient alors en mission secrète en Allemagne. Démasqués par les nazis, ils avaient été fait prisonniers. Tentant le tout pour le tout lors d’une allocution radiophonique d’Hitler, les audacieux britanniques avaient échappé à leurs geôliers. En cavale, séparé de son coéquipier, Denistoun avait alors fait la rencontre d’une bouillonnante gitane, la belle Liddie…
« Golden Earrings » est un film de 1947 réalisé par Mitchell Leisen. Il s’agit du second film d’après-guerre de Marlene Dietrich (qui s’était engagée aux côtés de l’armée américaine durant le conflit) ; elle partage ici la vedette avec Ray Milland.
Sous ses dehors de film d’espionnage, « Golden Earrings » est en réalité un film d’aventure vitaminé, doté d’une bonne dose d’humour. Son succès réside principalement – et c’est un ressort classique de comédie – dans le tandem dépareillé que forment ses interprètes principaux. Ray Milland incarne en effet l’archétype du britannique : élégant mais guindé, flegmatique et réservé. Face à lui, la grande Marlene Dietrich campe une gitane flamboyante et passionnée, qui oppose son bon sens et ses superstitions au rationalisme méthodique de l’Anglais.
Doté d’un rythme rapide, le film ne perd pas de temps et nous balade dans les forêts allemandes, à la cadence des multiples péripéties des personnages. Passée la première rencontre entre Denistoun et Liddie, peut-être un peu forcée, l’œuvre de Leisen prend véritablement son envol, et la plupart des scènes sont un vrai régal. Le brave colonel britannique, grimé en véritable gitan par sa compagne de route, apprend ainsi à lire la fortune, goûte le plaisir d’un poulet volé et découvre les charmantes coutumes des gens du voyage.
Marlene Dietrich trouve dans « Golden Earrings » un excellent rôle, où elle livre une prestation agréable. Elle excelle finalement dans la comédie, genre auquel elle s’est parfois essayée, déjà avec réussite (notamment dans le très bon western « Destry Rides Again », en 1939). À quarante-six ans, elle est aussi belle en gitane aux cheveux de jais et au tempérament de feu qu’en chanteuse blonde glaciale. Artiste accomplie, elle s’attache à maîtriser son instrument de musique – au grand dam de l’équipe du tournage – et dira dans son autobiographie avoir pris beaucoup de plaisir à tourner le film.
Le film de Leisen constitue une comédie charmante, ponctuée de scènes de voyage et de calmes bivouacs. Elle emprunte aussi au film d’espionnage et d’aventure, plongeant les personnages dans une ambiance menaçante dans une Allemagne à l’orée de la seconde guerre mondiale. L’on pourra regretter un début et une fin un peu poussifs, mais les performances de Ray Milland et de la sublime Marlene, ainsi que l’énergie et la bonne humeur que dégagent le film en font une œuvre divertissante et de qualité.