Véritable objet de marketing, une bande annonce trop axée vers une cible précise peut, in fine, desservir un film. A trop nous présenter « Les Ardennes » comme un polar punchy, genre ambiance Cronenberg ou Winding Refn, les distributeurs ratent leur coup, les fans seront déçus, et une partie du public, se sentant peu concernée, ne se déplacera pas. Et c’est bien dommage car « Les Ardennes » est sans commune mesure l’un des films chocs de 2016 !
C’est le premier long métrage de Robin Pront. Cela se ressent par une accumulation de scories référentielles, on pense en effet à de nombreux autres œuvres, tant au niveau ambiance, cadrages, trame… Mais il y a un tel côté assumé que cela en devient un atout, techniquement le film est imposant.
La musique y tient un rôle non négligeable, que ce soit avec la ravageuse bande musicale électro d’Hendrik Willemyns, mais aussi dans la scénographie. Le tempo général s'orchestre par une suite de polyphonies de plans rapides, voire brisés pour amener une séquence plus aboutie. Des réminiscences ou des anticipations font également que l’action qui se joue et va se jouer est prévisible, ou pour le moins perceptible. Ce qui intéresse Pront est moins de surprendre que la manière dont il va illustrer son propos, donner une âme à son film. La partition est savamment réfléchie, il la dirige d’une main de chef avec une ferme dextérité.
Tout pousse « Les ardennes » à être un film noir, brut dans tous les sens du terme. Le récit s'immisce parfaitement dans le décor de cette partie des terres de Flandre. La Belgique, terre de contrastes linguistiques et idéologiques est présentée ici sous sa face obscure. Elle ne se distingue pas du reste du monde pour autant, ces deux frangins délinquants partagent leur misère humaine avec tant d’autres en Europe ou ailleurs.
Ce n’est pas non plus de cette relation fraternelle toxique dont se préoccupe Pront. Elle n’est jamais qu’un élément probant qui ne sert à mettre en valeur que la psychologie du personnage de Kenneth, véritable psychopathe. Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser à un autre excellent film belge sorti récemment, « Belgica ». Tous deux on en commun ce même lien familial et destructeur, où le cadet épuisé des exactions de son ainé tente de prendre le dessus. Mais là où le film de Van Groeningen portait une tonalité optimiste malgré tout, celui de Pront, résolument sombre opte pour le tragique. La première scène est significative, Dave le pti frère plonge sauvagement dans l’eau, visage occulté. Une sorte de descente en enfer prémonitoire. Fort de cette devise flamande du 16ème siècle, « Ferme en fidélité », Kenneth, malgré un passé antérieur plus que chaotique, se servira de lui comme auxiliaire.
Kenneth, ou Kenny est donc au centre de toutes les attentions scénaristiques et visuelles. Sa veste rouge sang est le seul point de couleur saillant dans tout le film. Le rouge, couleur des dominants depuis l’antiquité, de la destruction ou de la mort. Toute l’action converge vers lui, et sa vraie personnalité, et donc la psychose dont il souffre va se révéler crescendo jusqu’à un final nauséeux. Il est interprété par Kévin Janssens, totalement habité, effrayant, en un mot sensationnel. Si le rôle est subtilement écrit, il le transcende au point d’en être hallucinant. Mais ce serait injuste de ne pas citer le reste du casting tout aussi surprenant, Jeroen Perceval, Veerle Baetens qui avait tout à attendre de la vie sauf rencontrer ces deux là, Jan Bijvoet totalement déjanté ou encore Sam Louwyck en travelo aux gros bras.
Tout ce petit cénacle torturé digne de la cour des miracles est manipulé effrontément par un jeune réalisateur déterminé et hyper doué signant un film efficace dont l’empreinte marque l’esprit au fer rouge.
A voir la 1ère réalisation de Pront, le court-métrage "Injury time", véritable esquisse du film "Les Ardennes" https://www.youtube.com/watch?v=nrgYzHGy22c