Le cinéma des Flandres est suffisamment rare pour demeurer précieux. Des productions cinématographiques aux teintes froides, au langage âpre et au propos toujours tenaillant. De la même façon se présente Les Ardennes, premier long-métrage de Robin Pront.
Difficile d’imaginer l’état d’esprit des quelques chanceux qui ont eu la chance de découvrir Les Ardennes en ouverture du 42e festival Film Fest Gent, en octobre dernier. Car le premier film de Robin Pront met mal à l’aise, il « inconforte ». Comme Bullhead, duquel il se revendique (et qui lui emprunte son scénariste), Les Ardennes est un film social dur, brutal et direct comme un pain dans la gueule. C’est peu dire qu’il peut rebuter.
Pourtant, le métrage est accessible. Mieux, il réalise des tours de magie. Comment diable, en 1h32 seulement, Robin Pront réussit-il à accoucher d’une oeuvre aussi ample, aussi poignante et qui ne semble omettre aucun détail ? Un cercle quasi parfait qui se trace point par point tout au long du film et qui se termine avec la mine du stylo qui casse. Un premier pas dans le 7e art qui laissera sa marque. Longtemps.
Paradis perdu
« C’était bien, les Ardennes. Vous étiez toujours sages là-bas« , dit Mariette à ses fils, gravement. Kenny sort juste de prison suite à un braquage qui a tourné au vinaigre. Son frère, Dave, a pu échapper à la sentence in extremis. Sylvie, elle, a cessé ses visites à la prison d’Anvers, et a troqué son toxique petit ami pour son frangin Dave, laconique et doux malgré ses airs de skinhead. L’éternel triangle amoureux. C’est dans un climat forcément tendu, fait de sourires feints et de regards circonspects face aux agissements craints de Kenny, que se délie la morbide poésie des Ardennes.
Si il emprunte son scénario au Brothers de Jim Sheridan, Les Ardennes creuse le désespoir sans fond d’une classe ouvrière percluse dans ses illusions. « On ne change pas », comme dirait Céline. Un constat tout simple, pourtant bien pessimiste à avouer, qui sera pourtant merveilleusement mis en mots par Sylvie (incarnée par l’épatante Veerle Baetens, remarquée dans Alabama Monroe) lors d’un monologue aux Toxicomanes Anonymes qui serre la gorge. L’espoir est un astre mort pour les personnages du film, et il va s’atteler à vous expliquer pourquoi.
On l’a déjà vu mille fois, ce frère dangereux, qui revient d’une retraite de plusieurs années et vient foutre un coup de pied dans le semblant d’équilibre qui s’était établi durant son absence. Mais si le film multiplie les références, il parvient en 90 minutes à livrer une oeuvre à la densité inattendue, et à la tension graduelle et palpable.
Le gardien de mon frère
Les Ardennes évolue dans une mixité fascinante. On croit au drame social pendant les 3/4 du film. On sort de la salle persuadé d’avoir été berné, et d’avoir vu un thriller anxiogène. Les deux ne sont pas incompatibles, et œuvrent dans la même figuration de l’espoir défunt, et de la mort comme unique solution pour se débarrasser d’un fardeau devenu trop lourd à porter.
Certes, le film manque un tantinet de personnalité. Mais si l’on voit défiler d’innombrables références au cinéma de Nicolas Winding Refn (Drive) et des frères Coen (Fargo), on n’a pas l’impression d’avoir assisté à une déferlante d’hommages cinématographiques. Les Ardennes n’est pas sans âme. Son ambiance poisseuse et humide est tout à fait unique, tout comme son équipage sonore, fait de Hardtek cheap que les frères affectionnent, et de nappes suffocantes qui accompagnent à merveille les plans (dés)enchanteurs servis par le jeune cinéaste.
Dans la lutte fratricide que nous donne à voir Robin Pront, il n’y a aucun faux pas. Les acteurs, tous absolument formidables, offrent au film un cachet authentique, qui respire la sincérité et les sentiments non simulés. Le pathos est évité. On ne nous offre qu’une vérité simple, sobre, crue. Le choix n’existe pas, dans la diégèse des Ardennes, et le plan final conclut magistralement la dissertation visuelle menée par cet auteur tout juste sorti de l’œuf.
Les Ardennes sort de nulle part. C'est un film de bouche à oreille. Confidentiel, le premier long métrage de Robin Pront ne le restera pas longtemps. Porté par des acteurs fascinants, un montage réussi et une mise en scène ravissante, l'auteur a tout le loisir de libérer sa prose noire sur la pellicule. Un de ces films coup de poing à côté desquels il ne faut pas passer.