Les deux premiers films d’Alessandro Comodin, L’été de Giacomo et Bientôt les jours heureux, posaient les bases d’une œuvre lente et soustractive, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Les Aventures de Gigi la Loi poursuit cette exploration. On y suit Gigi, policier de campagne charismatique et tchatcheur, dont le quotidien est fait d’inlassables rondes en voiture. Ces déambulations sans véritable but lui laissent le temps de vivre, tout simplement : draguer sa nouvelle collègue, discuter avec un jeune du coin, ou encore s’engueuler avec le voisin pour un motif dérisoire. Le spectateur s’imprègne de ce temps ralenti et apprécie l’étonnante sincérité qui se dégage de cet ancrage réaliste.
Si l’intrigue a pour point de départ un double suicide, ce drame n’est qu’un prétexte pour déceler l’étrangeté qui se cache derrière ce quotidien trop vide pour ne pas être suspect. Car derrière son apparente légèreté, Gigi la Loi inquiète plus qu’il ne fait rire. Dans un premier temps, l’accumulation de micro-événements en hors champ rend le village vivant ; mais à force de ne rien y voir, on sent que quelque chose nous échappe. Nos sens sont en alerte, et l’on commence à distinguer les discrets procédés qui alimentent cette tension : un traveling qui contraste avec une succession de plans fixes, ou encore l’arrivée de personnages secondaires dans la voiture en une coupe, comme s’ils étaient des fantômes.
Cette étrangeté se voit confirmée par une scène nocturne de traque en voiture, qui n’est pas sans rappeler le remake de Maniac par Franck Khalfoun. Puis la mise en scène bascule définitivement dans l’onirisme lorsque le jardin de Gigi se transforme en forêt, abandonnant toute cohérence pour offrir une séquence hors du temps. Après cette parenthèse magique, on sort du film comme on quitte un rêve, empli de sentiments contradictoires. Alessandro Comodin maîtrise ce subtil équilibre à la perfection ; la scène d’ouverture, dans laquelle on voit Gigi se disputer avec son voisin, en est un excellent exemple. Le ton est résolument comique, mais l’étirement de la séquence et l’absence du deuxième personnage dans le cadre finit par interpeller, sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. Pour son ambiguïté et sa singularité, Les Aventures de Gigi la Loi est une franche réussite et sans doute le film le plus abouti de son auteur.
Site d'origine : Ciné-vrai